« Ragtime », l’Amérique des hauts et des bas

5 avril 2019


Photo AlloCiné

Milos Forman dépeint dans Ragtime une gigantesque fresque de l’Amérique de la Belle époque au début du XXème siècle : un monument du même calibre qu’Autant en emporte le vent.
Dans cette toile qui forme une sorte de « mural » façon Diego Rivera, quatre histoires s’entrecroisent ou plutôt tournent autour d’un pivot central : la maison d’une famille d’industriels ayant fait fortune dans la fabrication de feux d’artifice. Une famille de Blancs, tout ce qu’il y a de plus convenable, qui vit dans la ville provinciale de New Rochelle, image archétypique de l’Amérique profonde. Le jeune frère de la famille (Brad Dourif) assiste à l’assassinat de l’architecte Stanford White (interprété par l’écrivain Norman Mailer) par un riche homme d’affaires. Celui-ci avait eu le tort d’élever une statue d’une ex-amante posant nue, la danseuse Evelyn Nesbit (Elizabeth McGovern), désormais épouse du meurtrier jaloux. Lors du procès, Milos Forman porte un regard féroce sur une certaine Amérique, celle de la haute bourgeoisie industrielle et politique où les assassinats sont monnaie courante et où la justice est au service des puissants. On y voit comment elle essaye de manipuler la jeune danseuse, à coups de millions de dollars, pour qu’elle accepte d’accuser son mari. Finalement elle se retrouve bernée, malgré les conseils de Brad Dourif qui est devenu son amant.
Cette famille de New Rochelle est le point de départ de l’histoire qui occupe la plus grande place dans le film. Elle accueille une jeune Noire et son bébé abandonnés par le pianiste de jazz Coalhouse Walker Jr. Celui-ci refait surface après avoir réussi sa carrière et gagné beaucoup d’argent. Le film prend alors une tournure tragi-comique. Walker voit sa nouvelle voiture rutilante, la fameuse Ford T, souillée et détériorée par une brigade de pompiers Blancs racistes. Il demande réparation et exige que le chef des pompiers soit jugé et condamné. Mais évidemment, personne n’en tient compte. Il est en bute au racisme et à la discrimination de la machine bureaucratique que Milos Forman raille avec un art consommé de la mise en scène. Le cinéaste sait de quoi il parle, lui qui a connu le pouvoir humiliant de la Tchécoslovaquie communiste. Walker passe alors de la résistance à la violence. Il prend les armes et avec des complices, s’apprête à faire sauter la bibliothèque de la ville dans laquelle il s’est retranché. De plus, sa fiancée, venue demander justice devant le vice-président des États-Unis, sera battue à mort par un policier. Commence une rocambolesque confrontation entre Walker et les forces de police, dirigées par leur chef Waldo, autoritaire, plus ou moins respectueux des lois, un rien sarcastique et plein d’humour. (Waldo est ici interprété par James Cagney qui fait son retour à l’écran à 82 ans). On voit alors arriver dans la bibliothèque truffée de bombes, une importante personnalité modérée de la communauté Noire, qui pourrait bien évoquer la figure de Martin Luther King. On voit aussi l’industriel chef de famille de New Rochelle se proposer comme otage pour faire revenir Walker à la raison et l’amener à se rendre. Situation loufoque où Brad Dourif – qui avait pris fait et cause pour Walker – grimé en Noir et cagoulé, revolver à la main, fait face à son beau-frère. Cet industriel, qui au début du film laissait deviner ses sentiments racistes et qui par la suite manifestait sa sympathie pour Walker, se fait littéralement expulser de la bibliothèque et s’en retourne penaud et impuissant. La loi vaincra.
Mais Milos Forman n’oublie pas d’imbriquer dans son film une autre histoire qu’il connait bien lui-même, celle de l’émigration. Il décrit de façon quasi ethnologique, avec un souci constant de la reconstitution, la vie des immigrés juifs d’Europe centrale venus s’installer dans le Bronx ou dans le Lower East Side de Manhattan, où ils forment une communauté pauvre, souvent opprimée, mais avide de s’intégrer à la nation américaine. C’est particulièrement le cas de ce juif barbu dénommé Tateh, ne sachant pas encore parler l’anglais, qui vend sur le marché ses créations de premiers dessins animés. Mais voilà qu’il séduit la femme du riche industriel, se fait reconnaitre comme artiste et finit par devenir cinéaste à Hollywood.
À travers la succession d’événements, les rapports entre les différentes communautés, la diversité de figures et personnages emblématiques, Milos Forman livrait en 1981 ce chef-d’œuvre, où il montrait de façon magistrale comment les fondements sur lesquels l’Amérique s’est forgée sont encore présents aujourd’hui.

Ragtime
De Milos Forman
USA 1981

Avec Howard E. Rollins, James Olson, James Cagney, Brad Dourif, Eizabeth McGovern, Mandy Patinkin, Norman Mailer, Mary Steenburgen
En salle depuis le 20 mars 2019
Disponible en double DVD ou double Blu-ray avec un livret de 32 pages

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