« Manhattan Chaos » de Michaël Mention : Jazz en enfer

5 mai 2019

Miles Davis est dans sa chambre, déprimé, abattu, rongé par la drogue. Il n’a pas touché sa trompette depuis deux ans. Nous sommes le 13 juillet 1977. C’est la canicule et une énorme panne d’électricité plonge New York dans l’obscurité la plus totale. En manque d’héroïne, Miles Davis prend le risque de s’aventurer dans la ville en butte à la panique, aux émeutes et aux pillages. Il nous emmène avec lui, au sens propre du terme, dans un voyage cauchemardesque, halluciné, angoissant à travers les quartiers de New York mais aussi dans son passé. Parce qu’il est noir, caché par sa capuche et dévasté par son addiction, personne ne le reconnait. Il est agressé, insulté, poursuivi, boxé, traqué. Par les Black Panthers, le Klu Klux Klan, les punks, les dealers, des militants nazis à croix gammée, des satanistes, la police… Il se retrouve même dans la voiture du Fils de Sam, un tueur en série, qui rode dans New York. Il est propulsé au milieu de manifestants qui fêtent l’indépendance, de rixes racistes, de combats entre catholiques et protestants, de la Guerre civile et la fin de l’esclavage, du Jeudi Noir de la crise de 1929… et à chaque fois il est sur le point de mourir.
Le style de Michaël Mention, brut, violent, à couper au couteau, rythmé comme une improvisation de jazz, syncopé comme le Blue Rondo à la Turk chanté par Claude Nougaro, nous entraîne dans cette folle course suffocante et terrifiante. Dans chacune de ses étapes, Miles Davis est accompagné par un personnage étrange, John, qui ne cesse d’inciter le jazzman à reprendre sa trompette et sa carrière sur le champ, sans quoi il périra. C’est d’ailleurs John qui le « téléporte »  d’un lieu à l’autre et d’une époque à l’autre.  C’est lui aussi, qui d’une certaine façon l’aide à sortir des situations mortifères dans lesquelles il s’est jeté. John est-il un personnage placé là par Michaël Mention pour accentuer la dimension fantastique de son roman ? N’est-il pas aussi le double de Miles Davis, son sur-moi en quelque sorte qui le pousse à sortir de sa déprime et à reprendre sa trompette ? Et d’ailleurs, l’auteur ne manque pas de parsemer son récit d’images fugaces et fulgurantes qui traversent l’esprit de Miles. Des images de jazz qui arriveraient comme des riffs au beau milieu d’une série de chorus. Il évoque la mort de ses complices : Bird, « qui était le meilleur », Lester, Fats, Duke…. Il croise « les clones de d’Elton Jones et de Donna Summer ». John lui rappelle son extraordinaire swing dans Round About Midnight. Il se revoie sur scène, réservé et timide, dans son « costard trop grand à 47 dollars » jouant derrière Charlie Parker, 52nd Street, avec, Thad (Jones) au piano et Max (Roach) à la batterie…
Oui, le livre de Michaël Mention est bien un livre musical, un be-bop littéraire étourdissant ponctué des accents de la trompette de Miles ou  de Dizzy et du saxo de Bird. À lire et à « écouter. »

Manhattan Chaos
de Michaël Mention
Éditions 10/18 – 2018

[1] A la question d’un journaliste en 1960 : « Où va le jazz ? », Thelonious Monk répondit : « Peut-être va-t-il tout droit en enfer. »

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