« Point limite zéro » : Un sacrifice héroïque

8 septembre 2025


Photo : AlloCiné

Réalisé en 1971 par Richard Sarafian, Point limite zéro (Vanishing Point) retrace le parcours fou du héros – l’antihéros ? – qui fait le pari de relier Denver à San Francisco dans sa Dodge en 15 heures. Poursuivi par toutes les polices des États qu’il traverse, il rencontre une variété d’individus représentatifs de l’Amérique des années 1960, et croise de magnifiques paysages désertiques. Il noue surtout une relation à distance avec un animateur radio aveugle d’une petite station du Nevada qui écoute les fréquences de la police et avec qui il dialogue par ondes interposées.

Mais ce parcours n’est évidemment pas une épreuve sportive ni un spectacle de cascades. Kowalski (Barry Newman), cet ancien coureur automobile se lance ce défi comme étant peut-être le résultat des traumas qui ont marqué sa vie chaotique. Ancien du Vietnam, ancien policier humilié pour avoir été limogé de sa fonction, son ménage brisé à la mort de sa femme, il se sent seul, étranger au monde qui l’entoure et s’engage dans une fuite probablement suicidaire. Serait-ce aussi peut-être une quête existentielle, une aspiration à un autre monde, un monde où il aurait sa place, libéré de ses traumas, une course folle à la recherche d’une transcendance ? Où mieux que le désert pour échapper à la réalité poisseuse et délabrée ? Kowalski va s’abstraire dans le désert. Ce désert magnifiquement filmé, avec ses routes droites filant à l’infini, ses alignements de poteaux télégraphiques, des pistes qui se croisent dans des figures géométriques à la Kandinsky… mais un désert aux tonalités sombres et menaçantes, aux antipodes des couleurs rayonnantes du Monument Valley de John Ford.

Dans la première partie du film, on peut voir en effet la Dodge blanche de Kowalski arrivant à pleine vitesse à Cisco en Californie, poursuivie par la police et les hélicoptères et où les habitants et les médias sont rassemblés pour assister à son arrestation. Devant la route barrée par d’immenses bulldozers, Kowalski fait demi-tour et croise une voiture noire venant en sens opposé. Le plan s’arrête là, net. Dans le plan suivant on retrouve bien la voiture noire, au même endroit, mais plus de Dodge, elle a disparu, elle s’est évaporée. C’est bien cela Vanishing Point ! Le point où l’on quitte le monde pour un ailleurs indéfini. Mais dans sa course infinie, que de cadavres, que de ruines, que de misère ne va-t-il pas croiser. Le mythe de l’Amérique pionnière et conquérante va se déchirer d’un plan à l’autre. Des carcasses de véhicules jonchent les bords de route. De miséreux pompistes semblent abandonnés de tous… et dans la station desquels sévit le viol, qu’heureusement Kowalski empêchera. On fait commerce de serpents. Des hippies deviennent dealer. Des gourous de sectes religieuses manipulent des spectateurs ahuris.

Comme une sorte de mise en scène parallèle, une communication s’établit tout au long du film entre Kowalski et le DJ Super Soul, un animateur – Noir et aveugle – de radio pirate. Il informe Kowalski des intentions de ses poursuivants et l’encourage pour ne pas craquer. Mais surtout, et c’est un aspect particulièrement fort du film, Super Soul fait de Kowalski un véritable héros populaire, ambassadeur des sans-voix, des sans-droit, des laissés pour compte du rêve américain. Le périple de Kowalski devient une croisade contre les institutions et les lois inégalitaires, contre la relégation d’une partie de la population, contre le racisme… Dans une séquence d’une extrême violence, Sarafian filme l’attaque que mène une poignée de racistes contre la station radio de Super Soul et comment elle se rue sur lui pour le laisser à moitié mort. Le studio – qui donne sur la rue – sera ensuite barricadé avec des planches de bois de telle sorte que la foule entassée dans la rue ne puisse suivre les commentaires psalmodiés de Super Soul en soutien à Kowalski.

Dans les derniers plans du film, le bolide blanc est en vue. La foule, impassible, attend son arrivée. Les micros des radios locales sont bientôt branchés. La police sur le point de l’arrêter. Ou comment un combat existentiel se transforme en spectacle. Contrairement au plan d’ouverture où la voiture de Kowalski disparaissait, ici, plutôt que de faire demi-tour, elle vient s’écraser sur les bulldozers dans une immense explosion. Comme des décennies auparavant pour Jessie James ou Bonnie et Clyde, la légende commence : Kowalski, un homme déchiré, en quête d’infini, qui a apporté la reconnaissance et la dignité aux exclus et aux marginaux avant le sacrifice et la mort. En somme, un Christ de road movie dans la contre-culture américaine des années 1960.

Point limite zéro (Vanishing Point)
De Richard C. Sarafian
USA – 1971
Avec Barry Newman (Kowalski) et Cleayon Little (Super Soul)
Disponible en DVD et Blu-ray

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