22 janvier 2025
Photo : SensCritique
Depuis quelques années, le cinéma chrétien est en plein renouveau aux Etats-Unis avec la création de nombreux studios spécialisés comme par exemple Angel Studios. Créés par des mormons dans l’Utah, ils sont à l’origine de productions telles Sound of Freedom et The Chosen dont le succès retentissant s’appuie sur un public évangélique. Déjà dans les années 1980 et 1990 plusieurs films dans le registre apocalyptique ou post-apocalyptique sont produits. C’est probablement le film de Michael Tolkin, Dernier Sacrifice (The Rapture), produit par la société Fine Line Features en 1991, qui marque le plus le cinéma des dernières décennies du siècle de son empreinte fondamentaliste.
Face à ce contexte cinématographique des années 80/90 et d’aujourd’hui, il nous semble utile de revenir à l’époque où Hollywood abordait dans ses films la religion catholique. Un des sommets de cette période est probablement Dieu est mort (The Fugitive), réalisé par John Ford en 1947 à partir du roman de Graham Greene, La Puissance et la Gloire. En 1929, un pouvoir révolutionnaire s’installe au Mexique et traque toute trace de présence religieuse. Les prêtres sont assassinés et les églises abandonnées ou détruites. Un prêtre (Henry Fonda) est encore présent dans le pays, mais il est pourchassé par la police. Craintif et lâche, il cherche à fuir et n’intervient pas lorsque le maire du village est exécuté par la police révolutionnaire. Dans sa fuite, le prêtre est retenu au village par un jeune garçon qui lui demande de venir donner les derniers sacrements à sa mère mourante, ce qu’il fait. Un mendiant lui demande aussi de venir recueillir la confession d’un bandit (le Gringo) qui avait volé une grosse somme d’argent. En réalité, le mendiant avait attiré le prêtre dans un guet-apens où il est tué par la police. Avant de mourir, le prêtre dit au traître de donner aux pauvres l’argent mal acquis, ce qui lui permet de retrouver ainsi la dignité de sa foi et le salut.
Dieu est mort est d’abord un film politique. En 1946-1948, les États-Unis commencent à vivre la Guerre froide et se dotent bientôt d’un organisme chargé de traquer tout ce qui, de près ou de loin, a trait au communisme : la House of Un-American Activities Committee (HUAC). C’en est fini de la vague de sympathie qui traverse Hollywood à l’égard de l’Union soviétique et des films qui glorifiaient la lutte contre l’ennemi commun allemand. Les studios vont produire des films anticommunistes et antisoviétiques. John Ford, quant à lui, avec Dieu est mort, traite le sujet dans un style plus allégorique. On peut en effet détecter en arrière-plan la transposition des pratiques antireligieuses de la révolution soviétique. Le film se passe pendant la guerre des « Cristeros », entre 1926 et 1929, au Mexique. Un mouvement de paysans, partisans de l’Église catholique, s’était soulevé contre l’État alors fortement anticatholique. Le pouvoir mexicain voulait alors imposer un régime politique strictement anticlérical mettant hors la loi la pratique religieuse. En tout état de cause, John Ford réalise ici un film d’orientation anticommuniste, sur la liberté d’opinion et, par conséquent, sur la liberté religieuse en cohérence avec sa propre foi catholique. Il est même probable que Ford utilise le thème de la religion pour affirmer haut et fort sa croyance dans les principes, l’honneur de l’engagement individuel face à la corruption, l’opinion, les masses, etc. L’homme est libre mais seul. Tout ce que Ford illustre dans ses films et que l’on retrouve aussi dans de nombreuses réalisations, notamment dans les westerns. Comme aussi dans Les Raisins de la colère, réalisé en 1940 dans lequel John Ford laisse apparaitre une neutralité bienveillante à l’égard d’un certain libéralisme socialisant.
Mais Dieu est mort est un film sous contrôle des institutions catholiques. Déjà en 1940, lors de la lecture du roman de Graham Greene, que John Ford et la MGM prévoyaient d’adapter en film, Joseph Breen, le patron du bureau du Code de Production (dit Code Hayes) signifiait au réalisateur l’obligation de bannir toute référence qui pourrait porter préjudice à la religion et aux ecclésiastiques. Toutes les modifications exigées seront effectivement prises en compte lors de la réalisation du film.
C’est aussi un film biblique.Toute l’histoire racontée par John Ford est une véritable fable dans laquelle les personnages font référence de façon nettement appuyée aux protagonistes du Nouveau Testament. Le destin du prêtre (Henry Fonda) se superpose à celui du Christ. Il baptise les enfants, reçoit la confession et donne les derniers sacrements. Il porte sur ses épaules toute la souffrance que lui inflige le pouvoir militaire. Il est tenté par la fuite et l’abandon et finit par trouver la force et la rédemption avant de mourir en martyr et faire advenir le miracle : l’arrivée d’un nouveau prêtre dans l’église. La parabole de Judas est là aussi transposée avec la trahison du mendiant fourbe qui reçoit le pardon du prêtre. Quant à Dolores Del Rio, l’interprète du personnage de l’Indienne dont l’enfant illégitime sera baptisé par le prêtre, elle peut très certainement représenter la figure métaphorique de Marie Madeleine.
L’une des marques frappantes de ce film réside dans sa construction esthétique. La photographie de Gabriel Figueroa est expressionniste et la symbolique religieuse y est fortement accentuée. Comme souvent chez Ford, et ici plus particulièrement, les effets lumineux des éclairages et les postures renvoient à la dramaturgie catholique, autour du sacrifice, de la souffrance et de la rédemption. À l’arrivée du prêtre dans l’ancienne église, celui-ci écarte les deux battants de la porte et l’on voit apparaître une ombre christique ascensionnelle, comme si elle tendait les bras vers le ciel, vers la vie spirituelle. Cette même ombre, quelques secondes plus tard, ne ressemble plus à une croix mais plutôt à un cercueil ou à un cadavre, et annonce un sacrifice et une mort prochaine. Ici encore la rencontre avec Dieu, avec la vie éternelle, est médiatisée, ou balisée pourrait-on dire, par un lieu physique : l’église avec ses oculus éclairés par la lumière divine lorsqu’Henry Fonda est enveloppé par le rayon lumineux qui l’emporte vers le ciel. La tyrannie ici-bas, la gloire là-haut… tel serait le message de Dieu est mort.
Dieu est mort (The Fugitive)
John Ford
USA – 1947
Avec Henry Fonda, Dolores del Rio et Pedro Armandáriz
Disponible en DVD et Blu-ray
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