« L’Impasse » : Un rachat impossible

12 juin 2025


Photo : L’Officiel des spectacles

La mort frappe toujours deux fois.  C’est bien ce que nous montre Brian De Palma dans son film de 1993, L’Impasse. Dès l’ouverture du film, en noir et blanc, Al Pacino agonise. Dans la dernière image, il s’éteint. Entre les deux, s’installe un long flash-back, en fait le film, au cours duquel le mourant se remémore, en voix off, la suite des événements qui l’a conduit jusqu’à sa mort. Et quels événements !

Al Pacino est Carlito Brigante, un ancien caïd de la drogue, qui, après avoir purgé cinq années de prison est décidé à suivre le droit chemin. Sa seule préoccupation maintenant est de se procurer assez d’argent pour pouvoir s’installer aux Bahamas avec sa bien aimée Gail (Penelop Ann Miller). Mais sa route vers la rédemption ne cessera d’être déviée. Il est successivement entraîné dans des situations qui mettront à rude épreuve sa détermination. 

Au début du film, une affaire de drogue fait fiasco et oblige Carlito à abattre des truands. David Kleinfeld (Sean Penn, assez ridicule déguisé en dandy), l’avocat véreux qui avait aidé Carlito à sortir de prison, demande son aide pour faire évader un détenu – Tony – en échange d’une somme d’argent importante. Malgré ses réticences, Carlito accepte. Mais l’affaire tourne mal et Kleinfeld tue Tony et son fils. 

Mais la descente aux enfers ne s’arrête pas là. Voilà qu’une rixe va éclater dans le bar fréquenté par des truands argentés et des prostituées et dont Carlito assurait la gérance. Au milieu d’une danse, Kleinfeld fait main basse sur la petite amie d’un autre caïd de la drogue, le mafieux Benny Blanco. La scène est filmée avec une grande mobilité. Carlito est chez lui, il va et vient au milieu de ses amis. La caméra balaye l’espace et accompagne Carlito vers la table de Benny. La tension monte jusqu’à ce que Benny soit éjecté du bar suivi d’un passage à tabac d’une extrême violence.

Dans cet imbroglio de trahisons et de manipulations, Carlito se sent écrasé par le sort qui s’abat sur lui. Tout le monde est après lui, la famille de Tony, la bande à Benny et la trahison de Kleinfeld. Heureusement qu’il a Gail. Les deux s’aiment et programment leur départ pour les Bahamas via Miami. Brian De Palma les filme au plus près. Les visages sont au centre le l’écran. La séquence où Carlito vient rejoindre Gail chez elle est d’une grande intensité. Leur visage est encadré entre les deux battants de la porte entrouverte et retenus par la chaînette. Celui de Carlito, en gros plan. Celui de Gail se retournant et s’éloignant tout en se déshabillant, filmée en caméra subjective, comme pour signifier la tendresse et le désir. Et le désir sera satisfait lorsque Carlito défonce la porte et, dans un travelling circulaire, vient enlacer Gail dans une danse érotique.

La parenthèse amoureuse se referme. Mais est-ce une parenthèse ? Le film n’est-il pas dans son entièreté un film d’amour ? Toute cette aventure, ne serait-elle pas le prélude au départ avec Gail ? Est-ce un hasard, s’il retrouve Gail à sa sortie de prison ? Un peu comme dans la chanson de Gilbert Bécaud, « Je reviens te chercher… Je savais que tu m’attendais ». Est-ce encore un hasard s’il vient l’observer le soir à ses cours de danse avant de la rencontrer ? C’est d’ailleurs là, l’une des séquences les plus admirables du film.  La nuit, sous une pluie battante, les yeux humides (par la pluie ou les larmes ?) Carlito regarde Gail danser. Il porte un couvercle de poubelle sur la tête pour se protéger de la pluie. Ce n’est certes pas la gaité de Gene Kelly dans Chantons sous la pluie mais bien la nostalgie qui étreint Carlito.

Mais le présent refait son apparition. Il a toutes les bandes de truands à ses trousses. La famille de Tony, Benny Blanco et ses sbires… s’engagent dans une course-poursuite vertigineuse. Des plans-séquences, des plongées et des contre-plongées, des plan zénithaux (Carlito filmé couché dans un escalier mécanique) filment la fuite de Carlito. Dans sa longue course à l’intérieur des wagons du métro et dans ses rapides déplacements « chorégraphiques » pour semer ses poursuivants. Un plan séquence historique de plusieurs minutes le suit dans le hall de Grand Central Station où l’attend Gail sur le quai du train en partance pour Miami avec l’accompagnement musical du compositeur Patrick Doyle.

Mais le destin de Carlito le rattrape. Fatal destin. Alors qu’il est sur le point d’arriver près de Gail, au pied du train, Benny Blanco l’abat. Benny avait été averti par Pachanga, l’homme de main de Carlito, du moment du départ pour Miami. Encore une trahison qui ne sauvera pourtant pas Pachanga, que Benny Blanco abat froidement. C’est la deuxième mort de Carlito, en couleurs cette fois-ci. Agonisant, il voit une affiche publicitaire pour des voyages paradisiaques aux Caraïbes. Les yeux à moitié fermés, il entrevoit les musiciens de l’affiche s’animer et se mettre à jouer. À côté, Gail danse puis tient un enfant dans ses bras. Il quitte le monde, serein.

Brian De Palma, magistral et Al Pacino, étourdissant, signent avec L’Impasse un film « monument ».

L’Impasse
Brian De Palma
USA – 1993
Avec Al Pacino, Sean Penn et Penelope Ann Miller
Disponible en DVD et Blu-ray

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