5 mai 2025
Photo : SensCritique
André de Toth, le quatrième borgne célèbre de Hollywood avec Raoul Walsh, John Ford et Fritz Lang, est un cinéaste éclectique. Il a pu aborder durant sa carrière en Hongrie (son pays natal) et aux États-Unis la plupart des genres cinématographiques. Le western reste cependant sa spécialité. On lui doit notamment La mission du commandant Lex (1952) avec Gary Cooper, La rivière de nos amours (1955) avec Kirk Douglas et l’étonnant western hivernal La chevauchée des bannis (1959). Il faut évidemment citer le puissant mais peu connu Nul n’échappera (None Shall Escape – 1944) décrivant le procès d’un haut responsable nazi accusé de meurtres et de la déportation de la population juive de Varsovie. Le piège ou Pitfall, qu’il réalise aux États-Unis en 1948 est l’un de ses films noirs des plus remarqués.
John Forbes (Dick Powell) est cadre dans une compagnie d’assurances, marié et père d’un petit garçon. Un beau jour, sa vie ordonnée et monotone va basculer. Un certain Bill Smiley (Byron Barr), détourne des fonds de la compagnie d’assurances pour offrir des cadeaux luxueux à sa maitresse, la blonde Mona Stevens (Lizabeth Scott). Plutôt que de laisser le détective MacDonald (Raymond Burr) mener l’enquête pour récupérer les objets du vol, Forbes préfère s’en occuper lui-même. C’est l’occasion pour lui d’éprouver le frisson de l’aventure. Il rencontre Mona et en tombe amoureux. Mais MacDonald a, lui aussi, des vues sur Mona. Dès lors le film prend une tournure plus dramatique. Le « Mac » en question va fomenter un mauvais coup pour piéger Forbes. Il pousse Smiley – qui doit sortir de prison le lendemain – au meurtre en l’informant que Mona le trompe avec l’assureur. Mais la confrontation triangulaire entre les trois hommes ne se dénouera pas comme prévu. Dans des cadrages et un traitement de la lumière d’une justesse et d’une netteté parfaites, Smiley, armé du couteau que Mac lui a donné, tente d’entrer dans la maison de Forbes. Celui-ci, quasi invisible dans la pénombre du salon, attend son agresseur avec détermination, malgré sa fébrilité bien compréhensible. La tension est alors au maximum, accentuée par la présence de Sue, la femme de Forbes (Jane Wyatt remarquable). Dans un plan largement éclairé cette fois, elle ferme la porte du salon et se retire à l’étage, son visage exprimant à la fois inquiétude et incompréhension mais aussi préoccupation pour son jeune garçon. Toute cette série de plans, au coeur de l’intrigue donne au film toute sa force et sa marque décisive de film noir.
Mais contrairement aux films noirs classiques, les rôles féminins ne répondent pas aux canons du polar hollywoodien. Ainsi Sue n’est pas l’épouse réservée et soumise, mais une femme responsable et faisant preuve d’attitudes égalitaires à l’intérieur du couple. Surtout Mona n’est pas la blonde platine, la femme fatale, archétype du thriller. Elle est souvent filmée en gros plan, signe de son implication dans l’intrigue. Elle aussi assume ses responsabilités en rendant les bijoux volés. Elle collabore avec Forbes et rejette avec fermeté les avances du détective, qu’elle finit par tuer.
Les scènes de confrontation entre les protagonistes, intenses et oppressantes, sont rythmées par une alternance de cadres serrés et d’éclairages justement dosés. Par contraste, c’est dans une luminosité éclatante que sont filmées les scènes d’extérieur. Elle offrent ainsi des moments de respiration, des changements de chapitres dans l’histoire, des « blancs » en quelque sorte. Los Angeles y apparait avec ses symboles architecturaux comme des signes de la ville du crime : le Palais de Justice, l’Hôtel de Ville…
André de Toth signe ici un film classique somme toute, porté par une réalisation minimaliste aussi bien dans le scénario, le jeu des comédiens, la photo ou l’éclairage.
Le Piège (ou Pitfall)
André de Toth
USA – 1948
Avec Dick Powell, Lizabeth Scott, Jane Wyatt, Raymond Burr et Byron Barr
Disponible en DVD et Blu-ray
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