« Notre innocence » de Wajdi Mouawad

2 avril 2018

Un groupe de jeunes s’interroge sur la mort de l’une d’entre eux. A-t-elle été assassinée ? S’est-elle suicidée ? A-t-elle seulement existée ? L’homogénéité du groupe, les liens d’amitié qui les unissent, leur vision commune du monde, leur rejet des générations antérieures, leur désespérance et leur colère sont magistralement exprimés dans la première partie du spectacle. Ils sont 18 formant un chœur parfait, déclamant en un sans-faute un texte rageur, mais hélas quelque peu élémentaire, un peu trop sur-souligné. Cette longue litanie, répétitive, lancinante, sans fin est rythmée comme une musique de jazz, avec ses accélérations et ses syncopes et donne au groupe une sorte de minéralité indestructible. Et se conclue par une répétition interminable des « dernières mesures » évoquant probablement les incertitudes dans lesquelles le groupe se débat. « Je sais pas » scandent-ils durant plus de 10 minutes. Leur déprime est telle qu’ils doivent s’en libérer et c’est bien ce que nous montre le tableau suivant : une sorte de chorégraphie pop dansée par tous les protagonistes, comme un oubli de soi, dans une ambiance déchainée, noyée dans les fumées, la musique et le tourbillon agressif des lumières.

Mais l’homogénéité du groupe va bientôt voler en éclats. Le groupe se fissure, craque, traversé de ruptures et d’antagonismes violents. La cause ? La mort de cette femme, Victoire, qui se serait jetée de sa fenêtre. Les individualités de chacun refont surface pour comprendre, accepter, nier… la mort de Victoire. Les sentiments de chacun explosent et fusent au-dessus de la table commune. L’incrédulité, le déni, la haine, l’indifférence, la culpabilité, le scepticisme, la passion sont au rendez-vous de ce pugilat collectif et tournent en quelque sorte autour de l’absente. Cette Victoire, réelle et virtuelle, nous apparait comme une Pythie ou comme un totem qui tantôt donne forme et cohérence au groupe (le chœur du premier tableau), tantôt l’entraîne dans des divisions antagonistes (la table du troisième tableau). Et puis quelque chose se produit en ouverture du quatrième tableau : un miracle, l’absente va parler, elle revient dans l’immanence et s’adresse à sa petite fille, vivante ou pure illusion, qui sait ? L’émotion nous saisit. Nous ne sommes plus dans la réalité, ni dans la fiction mais bien dans un conte imaginaire, où tous les amis du groupe se retrouvent et s’élèvent au-delà de leur misérable quotidienneté. Une porte vers l’espoir s’ouvre alors à eux. Malgré deux petites séquences qui aplatissent ou ralentissent un peu la dynamique, (la petite fille dans sa chambre qui appelle sa mère et l’autopsie de la morte dans un lieu qui se veut bloc opératoire), l’intensité dramatique de la mise en scène de Mouawad revient bien vite et nous comble d’émotion et de ravissement.

Notre innocence au Théâtre de la Colline à Paris jusqu’au 11 avril 2018

Notre innocence Jpeg

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