« Certaines femmes » : Solitude infinie

30 mai 2021


Photo : SensCritique

Certaines femmes est un western qui n’a rien à voir avec ceux des années 1950-1960. En effet, Kelly Reichardt situe son film dans un décor westernien, le Montana, pays de légende, sauvage et perdu dans une nature immense. La scène d’ouverture est une signature des plus significatives. C’est l’arrivée d’un long train de marchandises, traversant l’image en diagonale comme dans de nombreux westerns. On pense par exemple au Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann. Et il y a les chevaux, les montagnes enneigées, les petites villes perdues… Des indiens font une démonstration folklorique dans un supermarché. Jamie (Lily Gladstone), une jeune amérindienne qui soigne des chevaux, déambule dans la petite ville de Livingstone devant des vitrines de magasins vendant des vêtements de cowboy. Les paysages westerniens défilent tout au long du film souvent à travers les vitres des voitures comme sur un écran de cinéma. On a l’impression que tous ces signes forment une mythologie spectrale renvoyant à un passé (hollywoodien) révolu.
Et il y a surtout ces quatre femmes solitaires et muettes à la recherche d’une Amérique à jamais disparue. L’une, Gina Lewis (Michelle Williams) vient de Californie pour construire une maison authentique avec de vieilles pierres, vestiges d’une école de la période des pionniers. L’autre, c’est Laura Welles (Laura Dern) qui cherche à remplir de son mieux son rôle d’avocat et qui hélas ne peut rien faire pour empêcher l’arrestation de son client, Fuller (Jared Harris). La troisième, la professeure de droit Beth Travis (Kristen Stewart) doit faire face à la précarité de sa vie professionnelle où vient se greffer la rencontre avec Jamie, la jeune palfrenière, écrasée par la répétitivité de ses tâches quotidiennes.
Les personnages aussi sont vus à travers les vitres, les glaces, les rétroviseurs, les pare-brises, les portes. On peut voir Laura dans un angle de l’écran et son amant Ryan (James LeGros) dans un miroir à l’autre bout de l’écran. Jamie fait signe à Beth mais trois vitres les séparent : celle de la voiture, celles ensuite des deux portes où s’engouffre Beth. Gina fait signe à Albert (René Auberjonois) – le vieil homme à qui elle veut acheter les pierres – qui, derrière sa fenêtre vitrée, ne la voit même pas.
Tous ces personnages sont repliés sur eux-mêmes, ils ont des difficultés à se parler. La parole ne sort pas. La communication et la rencontre sont impossibles. Les participants aux leçons de Beth arrivent et repartent sans se saluer. Tous sont enfermés dans la solitude. Le client de Laura la supplie de lui faire parvenir des lettres même pour parler du temps qu’il fait. Et en effet, ils aspirent à aller vers l’autre, à entrer en contact, à créer des liens affectifs. Tout se joue dans les regards, le désir est là visible dans les gros plans sur les visages de Jamie et de Beth, dans celui de Laura et de son client. On croit même à un moment – dans un scène d’une intense harmonie – que la communion aura lieu lorsque Beth monte avec Jamie sur son cheval et qu’ensemble elles trottent calmement, en silence, jusqu’à la ville. Mais non, des relations affectives il n’y en aura pas. Jamie retourne vers ses chevaux, Beth à ses déboires professionnels. Laura promet d’écrire à son client emprisonné, mais le fera-t-elle ? Et Gina sera toujours aussi distante avec son mari et sa fille. Kelly Reichardt en dit peu, mais elle le dit si intensément. Intensité des regards, silence intense, solitude infinie. Désir impossible. Certaines femmes, un chef d’oeuvre de retenue.

Certaines femmes
Kelly Reichardt
USA – 2016
Avec Laura Dern, Kristen Stewart, Michelle Williams et Lily Gladstone
Disponible en DVD et Blu-ray

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