« First Cow » : À la vie, à la mort !

27 septembre 2021


Photo : AlloCiné

First Cow est un western déroutant, tant il fracture les codes habituels du genre. Fini les méchants; fini les héros conquérants; fini les shérifs responsables. Ici, ce sont des hommes simples, ordinaires, cherchant à survivre et rêvant de lendemains souriants, l’amitié chevillée au corps. King Lu (Orion Lee), un immigré chinois fuit des Russes qui le pourchassent, complètement nu, dans une vulnérabilité totale. Il est immédiatement reconnu par Otis « Cookie » Figowitz (John Magaro), immigré comme lui, venu probablement des pays de l’Est européen. Une amitié instinctive s’établit entre eux. Démunis et perdus dans la forêt, la générosité et l’entr’aide vont venir renforcer leur compagnonnage. Ils rêvent d’ouvrir un hôtel à San Francisco. C’est comme pour beaucoup d’immigrés, la possibilité du « rêve américain ».

Pour s’en sortir, ils confectionnent – Cookie est un ancien pâtissier de Boston – d’excellents beignets qu’ils vont vendre au campement des trappeurs de castors, qui se régalent et en redemandent. C’est par la ruse qu’ils en arrivent là, par  la grâce de la seule vache du pays, propriété d’un notable Anglais, le Chief Factor de la région. Et qui lui-même est ravi de savourer leur pâtisserie. (Rappelons que l’histoire se déroule en 1820 alors que le territoire de l’Oregon ne fait pas encore partie de l’Union). Devant le succès de leur création et du profit qu’ils en retirent, leur aspiration à conquérir le marché de San Francisco se renforce de jour en jour.

Kelly Reichardt fait évoluer les deux personnages dans un environnement filmé au format carré comme pour bien mettre en évidence leur simplicité, leur fragilité et la profondeur de leurs sentiments fraternels. La nature, est là, toujours présente. Cookie se nourrit de champignons cueillis avec délicatesse. Il pêche avec élégance. Avec King Lu, ils dansent avec les arbres dans les sous-bois comme dans une chorégraphie. Cookie parle à la vache avec des mots d’amour… Il y a comme une harmonie, une symbiose entre les hommes et la nature ; entre tous les hommes : les Américains, les immigrés et les indiens dont Cookie bénéficie de la protection lorsqu’il est poursuivi par les gardes du Chief Factor.

On n’est jamais dans l’excès, dans la démesure. Le film est une succession de petits instants qui se répètent comme l’entendaient d’ailleurs des philosophes tels Walter Benjamin ou Theodor Adorno. Le géant, le grand, l’expansion, c’est ce que suggèrent les deux péniches porte-conteners qui traversent l’écran au début et à la fin du film. Elles pourraient bien signifier le développement commercial exceptionnel de l’Amérique dont les graines seraient celles plantées par les deux héros du film dans leur volonté de faire des affaires. Ou au contraire, ne serait-ce pas aussi l’échec de l’esprit d’entreprise qui vient se fracasser dans la dissolution du rêve américain ? C’est bien là ce que nous montre Kelly Reichardt, deux paumés, bercés d’illusions, cherchant à survivre, à rebours des pionniers conquérants des westerns traditionnels. Mais quel western !

First Cow
De Kelly Reichardt
USA – 2019
En salles depuis le 20 octobre 2021
Disponible en DVD et Blu-ray

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