« Old Joy » : S’égarer pour se trouver

28 février 2022

Photo : EcranLarge

Au même titre que les peintres Paul Cézanne ou Francis Harburger peignaient les objets en les extrayant de leur quotidienneté, Kelly Reichardt en fait de même avec les deux personnages de son film Old Joy tourné en 2006. Mark (Daniel London) et Kurt (Will Oldham), deux amis qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps, reprennent contact et décident de passer un week-end dans la foret. À vrai dire, c’est Kurt, hippie attardé, qui prend l’initiative de cette escapade et d’arracher Mark des contraintes qui pèsent sur lui au jour le jour. Dès le début du film, la cinéaste décrit l’existence répétitive de Mark, son yoga de cadre responsable, les tâches ménagères de sa femme avant le départ avec Kurt. La caméra balaye de loin, avec élégance et lenteur, les maisons qui défilent, les jeunes jouant au basket, les centres commerciaux, les usines… comme pour mieux nous signifier la quotidienneté de l’existence. Et ce sont bien de ces contraintes de la vie urbaine dont Kurt et Mark veulent se libérer le temps d’un week-end. Les voici tous deux dans la voiture en partance pour des sources chaudes dans l’Oregon. Leur relation nous apparaît quelque peu énigmatique. Cherchent-Ils à expliciter leurs différences ou leurs désaccords ? À partager une même vision du monde ? Kurt ne cesse de parler, d’exprimer des opinions, de raconter des anecdotes, d’énoncer des préceptes plutôt confus, alors que Mark reste figé dans un silence inquiet. 

La nature autour d’eux imprègne les personnages d’une nostalgie d’un monde moins déroutant. La nostalgie est d’ailleurs au centre du discours de Kurt, « la tristesse c’est de la joie passée », assène-t-il avec aplomb. C’est ici, dans la foret que « l’on est tranquille », « il n’y a personne ici… c’est bon d’être en dehors de la ville » ajoute-t-il. Mais en même temps, il fait un constat ambigu sur les bienfaits de la nature. Alors qu’ils sont en train de préparer leur picnic près d’une décharge, Kurt encore nous fait remarquer « qu’il y a des arbres dans la ville et des ordures dans la foret ». C’est là très certainement un message critique que Kelly Reichardt fait passer aux responsables gestionnaires des villes.

Il est fort probable, dans leur marche vers les sources chaudes, que leur amitié se reconstruise, sereine et paisible. Nous les voyons ensemble immergés dans les piscines d’eau chaude. Kurt pratique un massage des cervicales avec douceur à Mark, enfin détendu.

Ainsi, en parlant, en dialoguant, en se prodiguant des mots et des gestes d’affection, dans la tranquillité de l’environnement que Mark et Kurt se libèrent de la quotidienneté de leur existence, qu’ils se dépouillent de leur identité sociale. Grâce à cette respiration de quelques heures, ils vont pouvoir reprendre leur activité avec plus de confiance, avec plus de sérénité, sans inquiétude et sans ressentiment. La nature, ça fait du bien ! Dans ce film où il ne se passe quasiment rien, Kelly Reichardt signe une oeuvre poétique et humaniste à la gloire de la nature, comme elle le fera plus tard avec Certain Women ou First Cow par exemple (voir Archives du blog).                                                                    

Old Joy
De Kelly Reichardt
USA 2006
Avec Daniel London et Will Oldham
Disponible en DVD et Blu-ray

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