« Le troisième homme » : La force de l’absence

11 septembre 2022


Photo : AlloCiné

Depuis sa sortie en 1949, Le troisième homme de Carol Reed a toujours été considéré partout et par tous comme un chef-d’oeuvre, un sommet du cinéma. Eh bien oui, Le troisième homme est un chef-d’oeuvre, un archétype du film noir. Le scénario, construit à partir du roman de Graham Green, est d’une limpidité exemplaire. L’écrivain américain Holly Martins (Joseph Cotten) est invité à venir à Vienne pour travailler avec son ancien ami Harry Lime (Orson Welles). Sitôt arrivé, il apprend que son ami est mort dans un accident de voiture. On suspecte Harry Lime d’avoir eu des activités criminelles. L’écrivain veut comprendre et mène l’enquête aidé du Major Calloway (Trevor Howard). La mise en scène magnifique de Carol Reed déploie l’intrigue dans la Vienne occupée de l’après-guerre, dévastée et en ruines. 

Plus qu’un décor, la ville est au coeur du film. Elle donne du sens et de la puissance aux scènes où se déroule l’action. La tristesse des rues froides, faiblement éclairées avec ses pavés luisants est en phase avec la psychologie des personnages. Les romans de Holly sont médiocres et n’ont pas un grand succès, tout comme les conférences sur la littérature qu’on lui demande de faire. C’est un « looser », angoissé, indécis et dépassé par les événements. Son anxiété est soulignée par les images en pénombre de la ville, filmée par une succession de plans obliques. Quant à Harry, c’est un être indifférent à la souffrance des autres, cynique, dominateur et habité par le mal. Recherché par Holly et le Major Calloway, sa présence dans le film est d’une fantastique étrangeté. C’est surtout son absence de l’écran qui assure en quelque sorte sa présence. Le spectateur est envahi par cette absence et attend avec impatience son apparition. Et celle-ci se manifeste dans cet extraordinaire plan où un chat miaule collé aux chaussures d’un homme caché sous un porche. À cet instant le visage souriant d’Orson Welles apparait en gros plan et en pleine lumière, puis disparait laissant Holly désemparé mais convaincu que Harry est toujours vivant. 

Plus tard, la présence de Harry se manifeste à nouveau, éclatante de force et d’autorité cette fois, lorsqu’il rejoint Holly dans la grande roue du Prater. C’est alors que l’écrivain comprend que Harry est un criminel. Il est prêt à collaborer avec Calloway et le trahir. La fin du film est un sommet de mise en scène expressionniste que l’on doit au chef opérateur Robert Krasker. Holly et les militaires se lancent à la poursuite de Harry. Sa silhouette et son ombre se découpent et se projettent dans les tunnels des égouts, obligeant le spectateur à concentrer son regard et son attention sur lui. Quelle extraordinaire séquence, d’ombres et de lumières, de contrastes, de plongées et de contre-plongées, de plans saccadés, d’échos de pas ! Et cette musique, universellement connue, lancinante, qui ponctue toutes les scènes majeures du film pour en souligner leur noirceur. Les notes de cithare s’égrènent comme en contradiction avec le rythme effréné de la course-poursuite finale. Le coup de feu de Holly claque. L’ombre massive de Harry s’effondre. L’absence devient présence… dans la mort. Au sortir du cimetière, dans un très long plan final, Holly attend qu’Anna (Alida Valli), l’ancienne maitresse de Harry dont il est amoureux, vienne le rejoindre. Mais non, Anna, fière, passe devant lui, sans un regard. L’effondrement moral du malheureux Holly, lui, est sans fin ! 

Nous avions dit : un chef-d’oeuvre ? Oui, assurément.

Carol Reed
Grande Bretagne/USA – 1949
Avec Joseph Cotten, Orson Welles, Alida Valli, et Trevor Howard
Disponible en DVD et Blu-ray

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