« TÁR » : Grandeur et décadence

23 février 2023


Photo : AlloCiné

Oui, grandeur et décadence, un thème mille fois rebattu au cinéma, au théâtre, dans la littérature… Mais cette fois, avec Tár, Todd Field « sculpte » un film à la gloire de Cate Blanchett dans le rôle de la compositrice et cheffe d’orchestre Lydia Tár. Ici, Cate Blanchett ne chutera pas et accrochera très probablement un Oscar à sa performance. Toute la force du film tient dans les bras et dans le corps de Cate, cette cheffe, ce « maestro » imaginé par Todd Field. Cheffe est bien le mot qui convient à cette femme. Dominatrice jusqu’au bout des ongles, par son esprit, son savoir, son corps tout en tension, mû par la passion de la musique. Elle en impose aux journalistes musicaux, à ses confrères, à ses élèves, ses assistantes et à ses amours. Dans un plan séquence d’une maîtrise absolue, face à Adam Gopnik, le critique d’art dans son propre rôle, Cate mène un débat théorique, un combat devrait-on dire, qu’elle gagne. Toujours dans des plans d’une rare lenteur, lors d’un affrontement avec l’un de ses étudiants, elle l’humilie car il refuse de jouer du Bach sous prétexte qu’il était misogyne. Et comment, dans un restaurant, elle exprime ses opinions pleine de condescendance pour l’un de ses éminents confrères. Todd Field en profite ici pour questionner la culture de l’effacement, les réseaux sociaux et les effets de l’environnement numérique. C’est d’ailleurs à travers l’écran d’un téléphone portable avec sa succession de courts messages que s’ouvre le générique. 

Tout au long du film, la puissance de Cate/Lydia, sa force, son ego explosent littéralement. Lorsqu’elle dirige l’orchestre, ses bras, son corps frappent l’espace avec une violence inouïe. Sa volonté l’emporte lorsqu’il s’agit d’imposer à l’orchestre l’oeuvre qu’elle entend faire jouer. Son agressivité encore se répand dans les insultes qu’elle adresse à l’une des camarades d’école de sa fille, ou lorsqu’elle claque la porte à sa voisine.

Mais derrière cette hubris, des signes de fragilité se laissent deviner. Todd Field injecte par-ci par-là des images fantastiques et inquiétantes. Tár ne dort plus, elle fait des cauchemars, elle entend des bruits étranges, elle frise la divagation grotesque et bruyante en jouant de l’accordéon alors qu’on vient lui annoncer qu’elle doit libérer l’appartement qu’elle occupe.

En effet des rumeurs circulent sur le suicide d’une de ses anciennes élèves qu’elle aurait harcelée. Elle se sent traquée et exige que son équivoque assistante (merveilleuse Noémie Merlant) efface tous les SMS de son portable, ce qu’elle ne fait pas, comme une riposte au refus de Cate de l’engager dans l’orchestre. La paranoïa de Cate ne cesse d’empirer. Elle frise la démence, tout en manifestant farouchement sa supériorité artistique. Cette schizophrénie se déchaînera dans une séquence d’une fureur extrême. Alors qu’elle s’apprête à entrer sur la scène pour diriger l’orchestre, son visage en devient monstrueux tant il concentre colère et arrogance. C’est à ce moment paroxystique que Cate va véritablement « disjoncter » et rouer de coups avec une sauvagerie incroyable, son confrère venu la remplacer.  Point final, c’est la chute, exit la star. Immédiatement après ce naufrage, le montage de Todd Field nous emmène en Asie. Un plan calme et serein nous montre Cate, seule et apaisée se préparant pour diriger la musique d’un jeu vidéo devant des cosplayeurs. Est-ce une punition qui lui est ainsi infligée ? Une humiliation ? Elle n’en a cure. Elle fait son travail avec autant d’exigence et de détermination que s’il s’agissait d’un concert à la Philharmonie de Berlin et avec son inébranlable passion pour la musique. Une rédemption. Merci monsieur Field pour ce si puissant chef-d’oeuvre.

TÁR
Todd Field
USA- Allemagne, 2022
Avec Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Mark Strong, Julian Glover
En salles depuis le 25 janvier 2023

Disponible en DVD et Blu-ray

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