« Les Chaussons rouges » : l’amour de l’art… l’amour à mort

30 janvier 2024


Photo : AlloCiné

Michael Powell, co-réalisateur des Chaussons rouges avait écrit que son film disait « d’aller mourir pour l’art ». Nous y sommes. C’est bien la grande question que pose ce film extraordinaire. Co-réalisé avec Emeric Pressburger, Les Chaussons rouges retrace l’ascension fulgurante de Victoria Page (la véritable ballerine Moira Shearer) comme danseuse étoile du ballet Boris Lermontov. Ce dernier (Anton Walbrook), inspiré de Diaghilev, l’a engagée à ce titre à la suite d’une rencontre au cours de laquelle il lui demande « pourquoi voulez-vous danser ? ». Et Victoria de répondre, caustique : « pourquoi voulez-vous vivre ? ». Le ton est donné… et le sens du film est exposé : l’amour de l’art, soit ici la passion de la danse. Mais ses exigences aussi et les sacrifices qu’elle exige. Lermontov est un directeur de ballet autoritaire, rien ne doit interférer dans la vie et la pratique de l’artiste. Il exige de Victoria qu’elle se consacre exclusivement à la préparation de son rôle. « Seule la musique compte, rien que la musique » lui impose-t-elle. Elle aussi, emplie de passion ardente pour la danse, fait preuve d’une exigence acharnée et d’une discipline sacrificielle, jusqu’au triomphe de la présentation du ballet à Monte-Carlo et son ovation éclatante.

Le ballet, (inspiré d’un conte d’Andersen) composé et dirigé par Julian Craster (Marius Goring), est le moment le plus prodigieux et éblouissant du film. 17 minutes d’un spectacle total. Un ballet classique certes, mais les élans fougueux de Victoria, le décor féérique, des couleurs magnifiques, un corps de ballet dynamique et un espace scénique tout en mouvement situent bien le film dans la lignée des comédies musicales américaines telles celles de Vincente Minnelli (Un Américain à Paris) ou de Stanley Donen (Chantons sous la pluie). Tout y est : une église, des boutiques, un musée, un cirque, la maison où vit la danseuse… Et des séquences fantastiques et magiques où Victoria vole, se transforme en oiseau, tourbillonne avec des figurines en papier. Des plans se superposent de manière onirique où Victoria se voit dans la vitrine du cordonnier. Et où le feu et la mer viennent submerger la scène. Julian, qui commence à tomber amoureux de Victoria, lui avait d’ailleurs assuré, lors d’une répétition, que la musique permettait de voler comme les oiseaux dans le ciel. La fluidité et le rythme étourdissant des danseurs est un ravissement et contraste par moments avec la lenteur et la solennité de quelques autres. Cette séquence où l’on voit les paroissiens, tout de noir vêtus, sortir de l’église nous fait penser immanquablement à Pina Bausch et à son fameux Café Müller.

Julian et Victoria se rapprochent l’un de l’autre. Accoudés à un balcon donnant sur la voie de chemin de fer, Ils envisagent avec bonheur le succès qui ne manquera pas de se produire lors de la représentation du ballet. Ah ce balcon… est-il annonciateur de quelque mauvais présage ? En effet, l’agitation joyeuse du ballet et de l’après-ballet va vite retomber. Lermontov apprend que Julian et Vicky s’aiment. Il ne supporte pas que ses artistes fassent passer leur vie privée avant leur travail et décide de les congédier. Plus tard il se ravise et fait revenir Victoria. Celle-ci, ravie, accepte de pouvoir assouvir à nouveau sa passion et remettre ses chaussons rouges. Julian lui, insiste pour qu’elle renonce à la gloire et le suive dans la poursuite de sa carrière, sans succès. Il la quitte alors la laissant éperdue et déchirée entre sa passion artistique et son amour pour lui. Hésitante, tiraillée par le conflit de ses sentiments, dans un brusque mouvement, elle court à la poursuite de Julian. La caméra, dans un superbe travelling arrière, la filme descendant les escaliers d’un jardin en courant, volant presque, butant sur ce funeste balcon, pour se jeter sur la voie ferrée. Lermontov annonce au public que Victoria ne dansera pas et ne dansera plus, seuls les chaussons rouges reprendront la danse animés par Grisha (le danseur Léonide Massine), le cordonnier magicien qui les a façonnés. Victoria meurt pour sa passion de la danse… ou pour l’amour de Julian ? Pour l’Art ou pour l’Amour ? Les Chaussons rouges, un film flamboyant, comme le rouge éblouissant  des chaussons ! Un film virevoltant comme une flamme où viennent se consumer l’amour et la passion de l’art.

Les chaussons rouges
Michael Powell et Emeric Pressburger
Royaume Uni – 1948
Avec Moira Shearer, Anton Walbrook, Marius Goring, Léonide Massine
Disponible en DVD et Blu-ray

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