« L’homme qui en savait trop » : Flic malgré lui

21 février 2024


Photo : SensCritique

Là encore, le maître du suspense a frappé fort ! En 1956, Hitchcock réalise L’homme qui en savait trop, le propre remake du film qu’il avait tourné en 1934 en Angleterre. Il passe de Londres à Hollywood, du noir et blanc à la couleur pour polir ainsi son intelligence cinématographique et les procédés de construction technique du suspense. L’histoire se structure de façon triangulaire : une petite famille américaine, des tueurs organisant un complot, une personnalité politique visée par un attentat. Voici donc un couple d’Américains avec un garçonnet (Hank) en visite à Marrakech au Maroc. Lui est médecin (Ben McKenna interprété par James Stewart), elle est une ancienne chanteuse (Doris Day dans le rôle de Jo). Alors qu’ils se promènent dans la foule, un homme (Daniel Gelin) s’effondre dans les bras de Ben, un poignard planté dans le dos. Il a tout juste le temps de lui glisser à l’oreille le nom « Ambrose Chappell » et l’informer qu’une personnalité politique étrangère va bientôt être assassinée à Londres. Muni de cette information énigmatique, Ben apprend que son fils Hank vient d’être kidnappé par un certain Drayton. Celui-là même que Ben avait rencontré la veille dans un restaurant et avec qui il avait sympathisé. On lui fait ainsi savoir qu’il n’a pas intérêt à révéler quoi que ce soit à la police. 

L’intrigue est dès lors située. Ben, modèle jusque là du père de famille tranquille et ordinaire, change de registre et se métamorphose en détective intrépide. Il va mener l’enquête par ses propres moyens, sans l’aide de la police, craignant pour la vie de son fils. Se succèdent alors des séquences d’un degré de suspense incroyable. Le fait de situer le début du film au Maroc, à n’en pas douter, accroit la dimension mystérieuse de l’histoire, là où dans la version de 1934, l’intrigue se déroulait en Suisse. 

Ben et sa femme Jo se retrouvent à Londres à la recherche de ce mystérieux Ambrose Chappell. Lorsque Ben découvre l’adresse, sa lente marche angoissée, silencieuse, seulement ponctuée du bruit de ses pas, la tension est à son acmé. Mais le malicieux Hitchcock met fin au suspense en nous montrant l’atelier d’un simple taxidermiste. À partir de là, le film n’est plus qu’une succession de scènes au suspense de plus en plus époustouflant. Le vrai Ambrose Chappell est en réalité une église où les comploteurs se font passer pour des religieux. Ben les reconnait mais il est assommé et perd connaissance. Il s’en sortira à temps en se sauvant de l’église par le clocher. Encore un plan très hitchcockien qui n’est pas sans rappeler le clocher de Sueurs froides,James Stewart déjà, pris de vertige assiste à la chute mortelle d‘une femme.

De son côté, Jo reconnait l’homme qui allait tirer sur le ministre étranger  lors d’un concert au Royal Albert Hall et le signale à Ben. Il était prévu que le tueur devait tirer sur sa cible au moment où les cymbales sont frappées pour masquer le coup de feu. Alors que l’orchestre symphonique dirigé par Bernard Herrmann lui-même interprète la cantate The Storm Clouds d’Arthur Benjamin, une série de champs-contrechamps portée par le crescendo de la musique balaye le triangle que forme Jo, le tueur et le ministre. De gros plans des cymbales et du canon du pistolet ponctuent la scène. L’angoisse est à son comble, lorsque Jo, apercevant le canon du tueur pointé vers sa cible, pousse un cri strident au moment même du coup de cymbale. Ben arrive à maîtriser le tueur qui fera une chute mortelle depuis sa loge. Le ministre s’en sortira avec une blessure. Pour remercier Jo et Ben de lui avoir sauvé la vie, ce dernier invite le couple à un gala à son ambassade. 

Commence alors le deuxième moment fort du film, peut-être l’une des plus admirables séquences des réalisations d’Hitchcock. Jo, ancienne chanteuse, est invitée à se produire devant l’assistance. Présumant que Hank est quelque part dans l’ambassade, elle s’installe au piano et interprète Que Sera, Sera en espérant que son fils l’entende. La chanson se transforme alors en personnage. Dans un long travelling ascensionnel, la caméra suit la chanson depuis le piano, traverse le salon, puis le hall, puis monte les escaliers, franchit un couloir et rejoint enfin la chambre où Hank est enfermé… qui répond en sifflant la chanson, se faisant ainsi localiser. Ben arrive alors à empêcher les kidnappeurs de s’enfuir avec l’enfant. Il se bat avec Drayton qui chute lui aussi dans les escaliers et meurt. Ah ces escaliers ! une signature que l’on retrouve dans la plupart des films de Hitchcock. Comme si rien ne s’était passé, la petite famille revient à l’hôtel où elle avait laissé des amis, en disant simplement qu’ils avaient été chercher Hank. Voilà bien du Hitchcock : distance, humour et … suspense.

L’homme qui en savait trop
Alfred Hitchcock
USA – 1956
Avec James Stewart, Doris Day, Daniel Gelin
Disponible en DVD et Blu-ray

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