« Spartacus » : Révolution ou libération ?

14 juillet 2020


Photo : SensCritique

Le péplum réalisé par Stanley Kubrick en 1960 et produit par Kirk Douglas se veut avant tout un film aux nombreux messages de combat et de contestation. Message moral d’abord, ce que ne voulait pas Kubrick mais que Douglas imposa. Il s’agit de l’opposition entre le bien et le mal, entre la tyrannie des consuls et généraux de la République de Rome, la révolte contre l’oppression des esclaves gladiateurs et les machinations qui se trament au Sénat. Charles Laughton, en sénateur manipulateur y excelle.
C’est aussi un manifeste contre le maccarthysme, cette fois voulu avec fermeté par Kirk Douglas. Il confie d’ailleurs le scénario à Dalton Trumbo, crédité enfin de son vrai nom au générique après avoir été condamné par la Commission des activités anti-américaines (HUAC) et blacklisté pendant toutes les années 1950.
Toujours sous l’influence de Kirk Douglas, le film est une métaphore de l’exode biblique. Durant toute une grande partie du film, Douglas/Spartacus, le gladiateur révolté fait traverser son peuple d’esclaves vers la mer, tel Moïse guidant le peuple hébreu vers la terre promise. La révolution qu’il déclenche contre Rome est pour Douglas une marche vers la libération des esclaves opprimés. Cette dimension biblique est aussi flagrante lorsqu’à la fin la révolte est matée. Spartacus est crucifié, sa compagne Varinia (Jean Simmons) portant son enfant dans les bras est éperdue de douleur telle Marie-Madeleine aux pieds du Christ en croix. Rome a gagné. Il n’y aura pas de libération pour l’armée de Spartacus.
Mais c’est Kubrick qui tient la caméra. Et il nous offre des moments de cinéma grandioses. Ah ce combat à mort où le gladiateur Draba désarme Spartacus et refuse de le tuer. Dans une scène de révolte explosive, Draba lance son trident vers la tribune où se trouve le consul Crassus (Laurence Olivier) qui achève le gladiateur d’un coup de poignard. Et ces scènes de bataille géométriques des légions romaines aux mouvements panoramiques et lents créent une tension à couper le souffle. Cerise sur le gâteau, lorsque Crassus exige des captifs qu’ils dénoncent Spartacus. À sa grande surprise tous déclarent : « Je suis Spartacus ». On devine ici encore une référence au maccarthysme, lorsque Dalton Trumbo et Howard Fast, l’auteur du roman Spartacus, avaient été emprisonnés pour avoir refusé de témoigner devant l’HUAC.
Spartacus, un film moral, épique et découpé comme un collage de Matisse.

Spartacus
Stanley Kubrick

USA – 1960
Avec Kirk Douglas, Laurence Olivier, Charles Laughton, Tony Curtis, Peter Ustinov, Jean Simmons…
Disponible en DVD et Blu-ray

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« French Connection » : Poursuites dans la ville

6 juin 2020


   Photo: AlloCiné


    Photo: AlloCiné

Avec French Connection, William Friedkin réalise le film probablement le plus percutant et spectaculaire de son oeuvre cinématographique. Film de poursuite s’il en est, la caméra serre en gros plans les courses folles de deux policiers, Jimmy Doyle, dit Popeye (Gene Hackman) et Buddy Russo (Roy Scheider) dans leur traque de trafiquants de drogue. Et c’est dans cette chasse à l’homme que l’on assiste à la fameuse course/poursuite entre la Pontiac pilotée par Gene Hackman et la rame du métro aérien où se cache le truand marseillais (Marcel Bozzuffi). Une séquence de dix minutes, filmée caméra à l’épaule, hallucinante… on en a le souffle coupé. Dans le documentaire que Francesco Zippel lui a consacré en 2018, Friedkin Uncut, William Friedkin raconte avec humour que cette séquence a été filmée directement dans les rues de New York, dans le trafic habituel, sans accidents heureusement. C’est d’ailleurs l’une des forces de French Connection d’avoir été tourné comme un documentaire, où l’on voit bien la fébrilité newyorkaise. Ce souci de filmer la réalité en mode documentaire, on le retrouve dans la suite, French Connection 2, réalisée par John Frankenheimer en 1975. Tourné à Marseille, Gene Hackman (toujours lui dans le même rôle) déambule dans une ville qui tourne le dos à la carte postale, avec ses rues étroites, ses bâtiments délabrés, ses quartiers louches…
Retour à New-York. Toute aussi haletante est la poursuite dans le métro dans laquelle Gene Hackman, dans des ouvertures/fermetures de portes à la Tati essaye de ne pas perdre la trace du puissant trafiquant marseillais Charnier (Fernando Rey). Il la perd tout de même et l’on voit Charnier, derrière la vitre du métro faire un signe de la main à Gene Hackman, dépité. D’ailleurs, dans les deux films, Charnier finit toujours par échapper aux poursuites de Gene Hackman. À New York, la fusillade à la fin du film dans un entrepôt est filmée avec une virtuosité époustouflante, expressionniste. À Marseille, Charnier échappe à Hackman alors que celui-ci avait mis le feu dans un hôtel délabré où il avait été enfermé et où se cachaient Charnier et sa bande. Ou bien lorsque la cale sèche où se trouvait un bateau avec une cargaison de drogue pour Charnier fut inondée (un moment grandiose de cinéma catastrophe).
Gene Hackman, déçu et frustré de n’avoir pas pu atteindre Charnier à la fin du premier French Connection à New York, va donc chercher à prendre sa revanche, dans la suite de Frankenheimer, à Marseille. Dans la séquence finale, après une attaque par Hackman et les policiers français de l’usine de fabrication de drogue que dirige Charnier, digne des plus grands polars, celui-ci arrive à s’enfuir encore, d’abord dans un tram puis dans son yacht. Dans une course folle, solitaire et émouvante, Hackman le poursuit, essoufflé mais déterminé, en longeant le port au plus près du yacht. Il vise, il tire, Charnier tombe. Fin. Voici donc un cinéma où Friedkin et Frankenheimer poursuivent Gene Hackman poursuivant Fernando Rey : suivez-les en DVD.

French Connection
William Friedkin
USA – 1971
Avec Gene Hackman, Roy Scheider, Fernando Rey, Marcel Bozzuffi
Disponible en DVD et Blu-ray

French Connection 2
John Frankenheimer
USA – 1975
Avec Gene Hackman, Bernard Fresson, Fernando Rey
Disponible en DVD et Blu-ray

Friedkin Uncut, William Friedkin, cinéaste sans filtre
Francesco Zippel
Italie 2017
Disponible en DVD et Blu-ray

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« Tous en scène » : Un divertissement élégant

25 avril 2020


Photo : La voix du 14ème

Encore un merveilleux musical produit par la MGM après le chef-d’œuvre Chantons sous la pluie. L’élégance de Tous en scène (The Band Wagon) est due à l’art extraordinaire de la danse de Fred Astaire et de la sculpturale Cyd Charisse. Leurs duos emportent le spectateur dans des imaginaires de rêve enthousiasmants. Celui d’un romantisme distingué dans les allées de Central Park, ou celui d’un dynamisme effréné sur un plateau de théâtre. Celui rythmé des claquettes avec un cireur de chaussures ou encore celui à l’érotisme aux accents jazzy dans un cabaret interlope.
Tony Hunter (Fred Astaire), un ancien danseur populaire, est de retour sur scène. Confronté à une pratique théâtrale qu’il considère ennuyeuse, il arrive à imposer sa propre vision et c’est lui maintenant qui mène la danse et dirige l’organisation des spectacles. Les répétitions s’enchaînent entre bonne humeur et scènes chantées et dansées pour notre plus grand plaisir. À côté du divertissement, dans une sorte de mise en abyme, Vincente Minnelli décrit de façon quasi documentaire l’organisation et la mise en scène d’une oeuvre théâtrale. L’humour est aussi de la partie. Fred Astaire se demande si Cyd Charisse n’est pas trop grande de taille pour lui. Le scénariste s’étrangle chaque fois que l’on modifie son texte. Le directeur du théâtre, dans des poses grandiloquentes et des jeux de cape calculés, énonce pompeusement ses théories et ses tirades. Les machinistes et décorateurs ratent leurs effets techniques, comme ces fumées épaisses envahissant le plateau…
Plaisir, danse, humour… alors Tous en scène ! À voir et à revoir.

Tous en scène
De Vincente Minnelli (The Band Wagon)
USA – 1953
Avec Fred Astaire et Cyd Charisse
Disponible en DVD et Blu-ray

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« 3h10 pour Yuma » : Le train de la rédemption

6 avril 2020


Photo : AlloCiné

Dans ce remake du superbe western de Delmer Daves de 1957, James Mangold signe là un renouveau du genre, sans paraphraser et sans dénaturer l’histoire et ses péripéties. En revanche, il y apporte le jeu extraordinaire des deux comédiens principaux Christian Bale et Russell Crowe et la recherche effrénée et complexe de leur moi profond.
Amputé d’une jambe, Dan (Christian Bale) est un fermier endetté, menacé par la sécheresse qui a détruit ses terres. Il assiste avec son jeune fils à une attaque sanglante d’une diligence par le célèbre chef de gang Ben Wade (Russell Crowe, imposant par sa décontraction et son ironie subtile). Plus tard, dans la ville de Bisbee, Dan, voulant éviter de vendre sa ferme à l’un de ses créanciers, tombe sur Wade dans un saloon et contribue à le faire arrêter. En échange de 200 dollars, il se porte volontaire pour escorter le hors-la-loi jusqu’à la gare de Contention où le train de 3h10 doit le conduire au pénitencier de Yuma. De retournements de situation en coups de feu, de chevauchées en fusillades et en tueries, Dan atteint enfin son but mais est tué par Pearce, le lieutenant de Wade. Wade tue alors Pearce et tous ses coéquipiers et monte dans le train. C’est l’occasion pour William, le jeune fils de Dan de reconnaitre en son père un héros, incorruptible et fidèle à ses principes. Dans cette fin tragique, James Mangold laisse voir, non seulement l’extraordinaire loyauté de Dan envers lui-même mais aussi son message de bravoure et de fierté qu’il transmet à son fils. Comme dans Le train sifflera trois fois (voir l’article du 27/11/2019), Dan est un héros solitaire, abandonné et trahi par le shérif et par ceux-là mêmes qui devaient l’aider dans son périple. Il sera même pourchassé par les habitants de la ville à qui Pearce et la bande de Wade promettent une prime de 200 dollars pour abattre Dan ou l’un ou l’autre des convoyeurs de Wade.
La succession de gros plans sur les visages de Wade menotté, et de Dan, fusil en main, dans l’hôtel attendant le train ou courant à travers les balles (un sommet), traduisent une cohabitation psychologique complexe où chacun découvre en l’autre son humanité, sa violence et ses faiblesses. Ils s’affrontent dans des dialogues subtils, changent simultanément de statut, se mesurent et peu à peu se comprennent et se respectent mutuellement. Le comportement de Wade tuant son lieutenant vient apporter la preuve du bouleversement qui s’opère en lui : il comprend Dan et entre en sympathie avec lui. Wade trouve-t-il alors la rédemption ? Ou bien retournera-t-il à ses démons ? Etonnante fin que nous propose ici James Mangold : une fois dans le train, après la course folle vers la gare, Wade sera-t-il enfermé à Yuma pour son salut ou bien, sifflant son cheval, attaquera-t-il à nouveau des diligences ? 3h10 pour Yuma, chef d’oeuvre ? Assurément.

3h10 pour Yuma
De James Mangold

Avec Christian Bale, Russell Crowe et Peter Fonda
USA 2007
Disponible en DVD et Blu-ray

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« Dark Waters » : Une lutte inégale

8 mars 2020


Photo : AlloCiné

Dark Waters, le dernier film de Todd Haynes, est un thriller judiciaire qui pourrait être un film catastrophe. En Virginie Occidentale, un éleveur, Wilbur Tennant (Bill Camp) demande à un avocat d’un grand cabinet de Cincinnati Rob Billot (Mark Ruffalo) de le défendre contre l’empire chimique DuPont. Il accuse l’entreprise de polluer les eaux de ses terrains entraînant la mort de ses vaches. D’abord réticent, Rob Billot décide de s’engager dans un parcours qui va le mener progressivement de l’intuition à la certitude des méfaits de DuPont et faire éclater la vérité (Affaire du Teflon au début des années 2000). Et que d’embûches sur sa route. Que de coups, de mensonges, de manipulations, d’intimidations et de mauvaise foi devront supporter, Rob, son client et toutes les victimes de DuPont. Que de mépris manifeste de ce monde riche et puissant, enfermé dans ses réceptions et ses buildings. Ne voit-on pas à un moment un dirigeant de DuPont, en smoking, arrogant, dire à Rob Billot : « Tu te bats pour un pauvre pèquenot maintenant ? ». Rob ne se laisse pas démonter. Son parcours est un véritable suspense. Il poursuit sa recherche avec acharnement, ébranlé un peu plus à chaque découverte et y laissant sa santé. Chaque fois qu’il avance dans la compréhension des agissements de DuPont, la caméra le filme en gros plan, dans son bureau, au volant de sa voiture, abasourdi par les révélations qui lui apparaissent. On le voit, enfermé au sous-sol de son bureau, au milieu d’une tranchée de documents, où des plans se superposent, faisant ainsi monter les milliers de documents jusqu’au plafond, et lui, à chaque fois un peu plus ratatiné, écrasé par la tâche.
Si le combat de Rob permet aux victimes d’être largement indemnisées – une broutille pour DuPont -, le mal est fait cependant. Todd Haynes filme la nature désolée et souillée dans un gris macabre, comme un hiver permanent, comme dans un film fantastique. Et si la justice triomphe, le spectateur, lui, ne voit pas son malaise disparaitre. Malaise que Todd Haynes ne cherche pas à apaiser en faisant de son film une métaphore des dégâts d’un certain capitalisme américain. Une histoire pas si lointaine… et ô combien actuelle.

Dark Waters
Todd Haynes

USA – 2019
Avec Mark Ruffalo, Tim Robbins, Anne Hathaway
En salle depuis le 26 février 2020
Disponible en DVD et Blu-Ray

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« Le cas Richard Jewell » : Seul contre tous

2 Mars 2020

Le cas Richard Jewell, le dernier film de Clint Eastwood ne déroge pas à ses obsessions. Il est encore ici question de héros ordinaires face à des situations extraordinaires comme dans ses récents films Sully (2016) ou La Mule (2018). L’agent de sécurité, Richard Jewell (Paul Walter Hauser), respectueux des lois et de l’ordre, rêve de devenir un grand policier car, comme lui dit sa mère Bobi (Kathy Bates), il « est encore un bon gars prêt à chasser les méchants ». Lors d’un concert dans le Parc du Centenaire d’Atlanta, il découvre un colis suspect. Il prévient la police, fait évacuer la foule et permet ainsi d’éviter le massacre que l’attentat aurait pu déclencher. Immédiatement, les médias vont en faire un héros national. Il est célébré. Tout le monde le salue. Il passe à la télévision… Mais, et c’est ici qu’intervient l’art de Clint Eastwood, le déroulement du film change de trajectoire : le héros devient suspect. Les médias et le FBI l’accusent d’avoir lui-même posé la bombe. Là où il rêvait d’ordre et de reconnaissance, voici que le monde s’abat sur notre agent de sécurité, transformant sa vie en calvaire, broyé par les puissances institutionnelles. Les journalistes ne le photographient plus comme une star, mais l’épient. Une série de plans se font face judicieusement montrant la confrontation entre Richard et sa mère consternés, barricadés dans leur appartement et la meute de journalistes dans la rue, vindicative, qu’on aperçoit à travers les stores. Intérieur sombre et silencieux ; extérieur éclairé et bruyant. Intérieur, solitude individuelle ; extérieur, domination institutionnelle. Magnifique moment de cinéma.
Les accusations et les humiliations font feu de tout bois. Clint Eastwood les décrit avec force caricature. La journaliste Kathy Scruggs (Olivia Wilde) est prête à toutes les bassesses pour arriver à ses fins : faire un scoop sur la culpabilité de Richard. Et en effet, c’est dans un bar à l’ambiance sombre qu’elle séduit l’agent du FBI en échange de l’information. Quant à l’agent du FBI Tom Shaw (Jon Hamm), c’est un summum de cynisme et de manipulation grotesque et ridicule. Humiliation encore que le défilé des cartons et des ustensiles personnels de Bobi que l’on emporte, puis plus tard que l’on rapporte et que Clint Eastwood traite avec humour pour bien signifier comment le FBI viole l’intimité de Richard et de sa mère.
Mais avec l’aide, la défense et l’humour de son avocat, Watson Bryant (Sam Rockwell), le procureur finira par reconnaitre qu’il n’y a aucune preuve de la culpabilité de Richard. L’émotion est à son comble quant Bobi, la mère de Richard, les larmes aux yeux, défend l’innocence de son fils lors d’une conférence de presse organisée par Watson. La caméra d’Eastwood décrit alors un travelling circulaire et vient se poster devant le visage en larmes de la journaliste. C’est là sa rédemption avec celle de Richard Jewell. Dans sa diatribe contre les institutions américaines, Clint Eastwood magnifie la force et l’autonomie de l’individu. Il reste malgré tout un grand optimiste pour qui le rêve américain est encore d’actualité.

Le cas Richard Jewell
Clint Eastwood
USA 2019
Avec Paul Walter Hauser, Sam Rockwell, Kathy Bates, Jon Hamm, Olivia Wilde
En salles depuis le 19 février 2020
Disponible en DVD et Blu-ray

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Kirk Douglas est mort, son combat reste en vie

9 février 2020


Kirk Douglas dans Spartacus
Photo : Le Huffington Post

Kirk Douglas, le cowboy à la fossette perd son dernier duel avec la vie après plus d’un siècle de combats. Oui, Kirk Douglas était un combattant. Étudiant, il pratiquait déjà la lutte pour imposer ses origines sociales modestes et faire face aux attaques antisémites. Contre des studios, qui brimaient sa liberté, il rompt son contrat avec Warner pour tourner dans La captive aux yeux clairs, un western de Howard Hawks et Les ensorcelés de Vincente Minnelli. On le retrouve encore dans des westerns à succès comme L’Homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor ou le légendaire Règlement de comptes à O.K. Corral dans lequel il interprète, à côté de Burt Lancaster, le rôle du fameux Doc Holliday. Un sommet. Il est alors l’une des stars les plus populaires du cinéma américain. En tant que producteur, il engage un jeune metteur en scène prometteur, Stanley Kubrick pour réaliser Les Sentiers de la gloire et surtout, trois ans plus tard Spartacus.
Spartacus était pour Kirk Douglas le symbole de son engagement et de son combat contre l’ostracisme qui avait frappé les « Dix d’Hollywood » et leur condamnation par la Commission des activités anti-américaines en 1947. C’est grâce à lui que Dalton Trumbo a pu enfin sortir de la « Liste noire d’Hollywood » en figurant au générique de Spartacus, comme scénariste, sous son vrai nom. Ses combats, c’était aussi la lutte contre la ségrégation raciale et l’antisémitisme. Il affirmait toujours sa judéité et les origines modestes de sa famille venue de Biélorussie. A travers ses films, il prenait la défense des Indiens comme dans La captive aux yeux clairs ou Le Dernier train de Gun Hill de John Sturges et ne manquait pas de critiquer les militaires comme dans Les Sentiers de la gloire.
Avec cet humaniste, l’Amérique et le monde perdent une grande voix pour la démocratie, la liberté d’expression et le courage politique.

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« Le train sifflera trois fois » : La solitude du devoir

27 novembre 2019


Photo Pinterest


Photo Première

Dans ce film culte réalisé par Fred Zinnemann en 1952, le shérif Will Kane (Gary Cooper à son sommet) doit affronter Frank Miller qu’il avait jadis arrêté et envoyé en prison pour cinq ans. Le shérif, malgré les supplications de sa femme (Grace Kelly), une quaker, qu’il venait d’épouser le jour même, décide d’accomplir son devoir et cherche à recruter une équipe. Kane se dirige vers l’église du village où il espère trouver de l’aide. Les fidèles se dérobent et le pasteur se retranche dans un lâche mutisme. Jacques Tourneur évoquera à propos du film : «La belle église blanche qui semble chaleureuse et accueillante au début, finit par abriter et protéger toute la lâcheté humaine et rejeter cruellement le héros venu y trouver une dernière chance de salut». Kane restera seul pour livrer le combat face à Miller et sa bande.
À l’approche des trois coups de sifflets fatidiques annonçant l’arrivée de Miller, la détresse du shérif se lit sur son visage alors que le village entier retient son souffle. L’horloge sonne les minutes, tout se joue en temps réel. La caméra filme Kane en contre plongée, marchant sous le soleil, seul dans sa tourmente, conscient de sa fragilité, mais déterminé à assumer ses responsabilités. On entend en fond musical la chanson du film, reprise inlassablement, accentuant la solitude et l’angoisse de Kane : Do not Forsake me, oh my darling… Et quel désespoir lorsque Kane voit son épouse et son ancienne maîtresse (impressionnante Katy Jurado) quitter la ville alors que la caméra, dans un travelling arrière plongeant époustoufflant, s’éloigne de Kane et le laisse là, au milieu de la rue, dans son immense accablement.
Une succession de plans se projettent sur les visages tendus, ceux des clients du saloon dans l’attente du règlement de comptes, ceux des paroissiens silencieux la tête basse, celui de l’épouse de Kane, pétrifiée d’angoisse, celui de l’ancienne maîtresse, fataliste… Avant que se dénoue la tragédie, avant que Kane rende son insigne et que la population vienne  le congratuler, là où elle s’était si honteusement rétractée.
On a rarement aussi bien filmé le suspense.

Le train sifflera trois fois
Fred Zinnemann – USA 1952
Disponible en DVD et Blu-ray

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« Les Cheyennes » : Un western métaphysique

11 novembre 2019


Photo : rueducine

En 1964, John Ford signe l’un de ses plus remarquables westerns. Serein, pacifié et humain. Il décrit la longue marche d’une tribu Cheyenne, depuis la réserve qui leur a été attribuée jusqu’à la terre d’où ils avaient été chassés, leur mère patrie, dans le Dakota. Tout au long de cette traversée, épuisés, malades et affamés, ils sont pourchassés avec brutalité par la cavalerie qui veut à tout prix les ramener à leur réserve. Le capitaine Thomas Archer (Richard Widmark), plein d’humanité à leur égard essaiera de les assister tant bien que mal, tout en restant cependant tenu par son devoir de soldat. Est-il le miroir de John Ford, lui-même toujours indigné par le sort que l’Amérique a réservé aux Indiens ? Cette longue marche des Cheyennes à travers le territoire américain ne serait-elle pas une allégorie de la traversée du désert par le peuple de Moïse fuyant les armées du Pharaon, un « Exodus » comme il y en eu tellement dans l’histoire de l’humanité ? On pense aussi au film  Les  Raisins de la colère dans lequel John Ford dépeint la migration de familles fuyant la misère. On retrouve ici un Ford catholique, pétri de références bibliques. Alors qu’il venait d’être informé par Archer des conditions dramatiques dans lesquelles les Indiens étaient enfermés à Fort Robinson, Carl Schurz (Edward G. Robinson), le secrétaire d’Etat à l’intérieur, implore dans une attitude quasi-christique face au portrait de Lincoln, « Vieil ami, que ferais-tu ? »
L’arrière plan de ce terrible parcours, c’est la nature. John Ford, comme à son habitude, filme avec magie Monument Valley, les montagnes, les tempêtes de sable ou les étendues neigeuses du Wyoming. Il donne ainsi à cet exode une dimension mystique et cosmique. Sur ce fond d’espaces majestueux à couper le souffle, John Ford libère un peu le spectateur de cette force tellurique qui pèse sur lui, notamment lorsqu’il le transporte à Dodge City. On y voit le shérif Wyatt Earp, interprété par un James Stewart facétieux et flegmatique, jouant aux cartes avec Doc Holliday et ne s’intéressant nullement à une arrivée probable des Indiens. Le maire de la ville, complètement paniqué, décide d’envoyer un convoi à leur poursuite qui se termine finalement en véritable mascarade guignolesque. Dans ce moment de liberté, John Ford veut nous signifier la désinvolture et l’intolérance de cette société des petites villes de l’Amérique profonde à l’égard des minorités. Humour encore, lorsque Schurz offre un cigare aux deux chefs indiens pour remplacer le tabac manquant du calumet de la paix. Ne serait-ce pas là encore un signe de condescendance, annonciateur de la disparition des traditions et le commencement d’une « nouvelle coutume » comme le dit effectivement Schurz ? Quoi qu’il en soit, voilà un film généreux par la passion que nous offre John Ford ; bouleversant par la souffrance que ces Cheyennes ont vécue ;  grandiose par la beauté des paysages. Un western 5 étoiles.

Les Cheyennes
John Ford
USA – 1964
Disponible en DVD et Blu-ray

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« La soif du mal » … et toujours le même racisme

18 octobre 2019


Photo : SensCritique

Orson Welles est toujours au sommet de son art en 1958, lorsqu’il tourne La soif du mal. Et quel sommet ! La quintessence du film noir, un plan-séquence d’ouverture de plus de trois minutes époustouflant, inoubliable, des cadrages en plans serrés, des contre-plongées vertigineuses, un traitement expressionniste du clair-obscur comme un oxymore cinématographique, des comédiens magnifiques dans l’interprétation de leur personnage… tout un éventail de plans et de séquences de premier ordre au service d’une intrigue classique certes mais oh combien palpitante et dont le suspens ne se relâche jamais.
À la suite d’un attentat à la frontière américano-mexicaine, deux policiers mènent l’enquête. L’un Mexicain, Mike Vargas, interprété par Charlton Heston, est épris de justice et respectueux des lois. L’autre, Hank Quinlan l’Américain, incarné par Orson Welles, est un policier corrompu, véreux et manipulateur. Bouffi, obèse, en sueur avec son cigare à la bouche, il apparait comme une sorte de monstre, violent et raciste, cherchant à venger ses drames passés par le mal qu’il fait autour de lui. Dans la confrontation qui l’oppose à Vargas, il accuse un innocent – Mexicain bien entendu – de l’attentat, il exécute un chef mafieux, fait séquestrer Susan, la femme de Vargas (saisissante Janet Leigh)… autant de méthodes du flic crapuleux. Lors de la dernière séquence, magistralement filmée la nuit autour d’un pont, Vargas poursuit Quinlan et fait la preuve de sa malveillance. On assiste alors à la déchéance puis à la mort de Quinlan. L’apparition de Marlene Dietrich, la patronne du bordel local où Quinlan avait ses habitudes, assistant à sa fin, déclare, mélancolique et philosophe, qu’il était malgré tout un sacré bonhomme.
Douglas Kennedy dans la revue America N°8, écrit que « cinquante ans après la sortie du film en 1958, le racisme tenace qu’Orson Welles dénonce est toujours bien présent au sein du corps politique » américain d’aujourd’hui.
Le plus grand film de Welles (avec Citizen Kane !). Un chef-d’œuvre.

La soif du mal
Orson Welles

USA – 1958
Disponible en DVD et Blu-ray

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