« Forêt obscure de Nicole Krauss » : une désorientation réjouissante

9 décembre 2018

Les deux personnages que Nicole Krauss met en scène dans son livre vont faire le même voyage entre l’Amérique et Israël en quête de leur propre vérité. Jules Epstein est un millionnaire juif new-yorkais. Passionné d’art, il a toujours été « au sommet de tout ». Soudain, après la mort de son père, il décide d’en finir avec son passé et de se dépouiller de ses biens. Il disparait, sans explication pour se retrouver à Tel-Aviv. Pour se défaire de son passé ? Certainement. Pour racheter la mémoire des victimes de la Shoah ? Certainement aussi, comme le laisse entendre sa volonté de consacrer sa fortune à la plantation de millions d’arbres dans le désert. Pour retrouver le sens du sacré, disparu depuis longtemps des terres américaines ? C’est bien probable. N’est-il pas d’ailleurs convié à une réunion des descendants du roi David ?  L’autre personnage, c’est NicoleNicole Krauss elle-même ? Qui sait ? -, une romancière de Brooklyn de renommée internationale, en pleine crise conjugale et en panne d’inspiration. Elle décide de quitter sa famille et de se rendre à Tel-Aviv – comme Epstein – avant de s’installer à l’Hôtel Hilton où elle a été conçue au lendemain de la guerre du Kippour. C’est le Hilton qui réunit les deux personnages, sans que nous sachions s’ils y sont au même moment ou à des périodes différentes. En tous cas, ils vont vivre des histoires qui n’ont rien de commun sauf leur plongée fantasmagorique, mystérieuse et cocasse, voire hilarante dans leur quête existentielle. La romancière est alors approchée par l’énigmatique professeur Eliezer, selon lequel, Kafka – oui Kafka le grand écrivain – ne serait pas mort dans un sanatorium autrichien en 1924, à 40 ans, mais aurait clandestinement émigré en octobre 1923 en Palestine. Installé dans un kibboutz près de la mer de Galilée, Kafka aurait trouvé l’apaisement en travaillant comme jardinier. Cette métamorphose, Eliezer veut que Nicole en fasse un roman afin de « façonner par la fiction » un autre visage de Kafka. Forêt obscure progresse par à-coups désordonnés entre les limites du réel et de la fiction, entre l’anecdotique et le métaphysique, entre l’appréhension et l’humour, dans un dédale à la Borges ou à la Garcia Marquez. Un livre scintillant où le suspens le dispute au romanesque. Inoubliable.

Forêt obscure (Forest Dark)
de Nicole Krauss
Ed. L’Olivier – 2018

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« Boulevard du crépuscule » : Hollywood infini

1er novembre 2018

        
  Photo : D. Besson                                                             Photo : DVD Classik

Dans le film de Billy Wilder, Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard), le personnage principal n’est pas vraiment Gloria Swanson : c’est Hollywood. Hollywood qui essaye désespérément de ne pas mourir ! On assiste à une mise en abyme de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Gloria Swanson y joue le rôle d’une star déchue du temps du muet, Norma Desmond, vivant recluse dans sa vaste demeure plutôt délabrée, sous la surveillance de son majordome. Il s’avère, et on le saura à la fin du film, que ce majordome, Max, interprété par Erich Von Stroheim, fut le mari et le directeur de la star au moment de sa gloire.

Dans ce théâtre d’ombres et de fantômes, un jeune scénariste sans scrupule mais sans succès, Joe Gillis, essaie d’aider Norma à revenir sur les plateaux où elle pourra tourner sous la direction du grand Cecil B. DeMille, qui interprète d’ailleurs son propre rôle. Norma va s’éprendre de lui et en faire son souffre-douleur, croyant qu’il la ramènera devant les projecteurs. Lors de sa rencontre émouvante avec Cecil B. DeMille, on assiste avec nostalgie à deux moments du cinéma : celui de Norma, du cinéma muet, et celui du parlant. Mais la séquence est d’une tristesse infinie : tout le monde sait bien qu’il n’y a plus de place à Hollywood pour Norma, sauf elle qui ne peut échapper à son obsession.

Gloria Swanson est fascinante et pathétique dans son jeu très théâtral, hors de la réalité, schizophrène dans sa double identité : la star réelle qu’elle a été dans les années 1920 et l’esclave de son propre mythe. Elle vit dans son château, entourée de ses innombrables portraits et de miroirs qui entretiennent son narcissisme dévastateur. La mise en abyme est à son comble lorsqu’elle se fait projeter le film Queen Kelly qu’elle avait tourné en 1928 sous la direction justement de Erich Von Stroheim, son désormais majordome.

Gillis ne supporte plus la tyrannie que Norma exerce sur lui. Il veut se défaire de son emprise et voler de ses propres ailes. Il use de stratagèmes chaque fois qu’il veut sortir du château où Norma le tient prisonnier. Elle le suspecte d’avoir des liaisons à l’extérieur. Elle est envahie par la folie et finit par le tuer.

C’est alors que le film prend sa dimension éclatante et prodigieuse : au milieu des journalistes et de la police, Norma, splendide et somptueuse, éclairée par les projecteurs, descend les escaliers de sa demeure, alors que Max le majordome, derrière la caméra, redevient ce qu’il avait été 20 ans auparavant et lance : « moteur » ! Lorsque Hollywood dépasse la réalité.

Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard)
De Billy Wilder

Avec Gloria Swanson, William Holden, Erich Von Stroheim
USA 1950
Disponible en DVD et Blu-ray

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« Fièvre sur Anatahan » : Ève et les serpents

26 octobre 2018


Photo : AlloCiné

60 ans après sa sortie en 1953, le film de Joseph von Sternberg, Anatahan, entièrement tourné au Japon, ressort en salles dans une copie augmentée et restaurée. Sternberg s’échappe du système hollywoodien pour réaliser un film unique en son genre, avec des acteurs japonais, parlé en japonais et, en voix off, Sternberg lui-même. On retrouve son goût pour l’exotisme et les atmosphères moites d’Asie (Shanghai Express, Shanghai Gesture). Que se passe-t-il lorsqu’un groupe de soldats et de pêcheurs japonais échoue en 1944 sur l’île d’Anatahan, dans l’océan Pacifique ? Que se passe-t-il lorsque ce groupe refuse d’admettre la défaite du Japon et croit que la guerre n’est pas finie ? Que se passe-il encore lorsqu’il découvre qu’une unique femme, une naufragée, Keiko, une Marlène Dietrich asiatique, y vit déjà là ? Eh bien, on le devine aisément, tous ces hommes vont se transformer peu à peu en prédateurs. Entre Keiko et ces hommes se joue une relation type maître/esclave, où le chasseur se laisse éblouir par sa proie, stimulant ainsi son instinct de domination et de meurtre. Ils vont se battre pour la Japonaise, s’entre-tuer pour la sensuelle Keiko. C’est donc aussi un combat pour l’exercice du pouvoir sur le groupe : volonté anthropologique de domination de l’homme sur la femme; volonté de domination politique de l’homme sur les hommes.
Autour de ce combat pour la femme et pour le pouvoir, la caméra de Sternberg se fait explorateur. Les plans en noir et blanc de la végétation et des jungles tropicales, pourtant reconstituées en studio, défilent sous nos yeux avec une précision prodigieuse. Les longs travellings dans la forêt reconstituée, qui encadrent ou entourent la violence des hommes et le regard envoûtant de Keiko, nous entraînent dans un voyage mythologique où l’enfer des hommes côtoie la nature paradisiaque : un enfer où les luttes de pouvoir se déroulent dans un monde fermé, isolé comme le sont tous les pouvoirs tyranniques et mortifères; un paradis où se mêle la beauté primitive de la terre à la sensualité d’Ève, la première femme. Du grand cinéma.

Fièvre sur Anatahan
Joseph von Sternberg
Japon – 1953
En salles depuis le 5 septembre 2018
Disponible en DVD et Blu-ray

 

« Les Frères Sisters » Un western pas vraiment western

22 septembre 2018


Photo : allociné

Après de nombreux cinéastes français, voici que Jacques Audiard se confronte, à son tour, à la mécanique hollywoodienne. Bien que tourné en Espagne, en Roumanie et même en France, c’est un film du genre western que le cinéaste nous livre… mais pas que !
Comme on a pu déjà le voir plusieurs fois au cinéma, on retrouve la figure imposée des deux frères, Eli, (John C. Reilly, excellent en naïf perspicace) et Charlie (Joaquin Phoenix, dans le rôle du Bad Boy) à la poursuite de leur cible. Les voici, chargés par un commanditaire, le Commodore, d’exécuter Warm, un chercheur d’or chimiste supposé détenir un secret pour faire jaillir l’or sans effort. Ils le retrouveront grâce à l’aide d’un détective qui note tout dans son carnet de route. Il y aussi les chevauchées dans les grands espaces, les fusillades à l’arrivée dans les villes, les bars et les prostituées, les filons des chercheurs d’or, la construction de l’église… Toutes choses qui, sans aucun doute, font du film d’Audiard un western. On y relève aussi des touches d’humour dans le style des films des Frères Cohen quand Eli découvre le dentifrice, les brosses à dents ou la chasse d’eau dans un hôtel luxueux de San Francisco ou bien lorsque les frères se coupent mutuellement les cheveux. On rit franchement lorsqu’Eli cogne sur le Commodore déjà mort dans son cercueil… pour s’assurer qu’il est bien mort. On entend quelques bons mots entre les deux frères et, en voix off dans un langage châtié, le récit au jour le jour du détective.
Mais derrière cette symbolique westernienne, c’est un autre film qui se joue. C’est d’abord l’histoire de deux frères à la recherche d’amour et de tendresse. On est impressionné par la séquence où Eli demande à une prostituée de lui tendre avec douceur le châle rouge que sa mère lui avait donné. L’intimité de cette scène, la pudeur avec laquelle la femme s’adresse à Eli, sa pose et sa gestuelle quasi virginales, lui donnent une dimension spirituelle certaine. L’amour, ils finiront par le trouver, à la fin du film, dans les bras de leur mère qu’ils avaient abandonnée pour leurs aventures meurtrières. Comme Ulysse, ils reviennent à la maison, meurtris, après avoir rechargé leur batterie d’un peu d’humanité. Mais le film de Jacques Audiard retrace surtout la confrontation entre deux visions opposées de la société. D’une part une Amérique violente, dure, rongée par l’argent, les trafics en tous genres et l’instinct de domination et que les westerns traditionnels, comme celui-ci, illustrent parfaitement (les tueries que les deux frères, dans leur poursuite, enchaînent les unes après les autres, sans fin comme ils le disent eux-mêmes; le visage hallucinant dans l’éclairage nocturne qui donne au chimiste Warm un masque satanique; la haine du père des deux frères et qu’ils assument…). Cependant Warm, ce chercheur d’or chimiste au comportement inquiétant est un utopiste. L’or il le veut, non pas pour lui, mais pour bâtir une cité « socialiste », un phalanstère comme il le dit. Il y a là comme le fantasme d’une Amérique mythique, de liberté et de bonheur individuel. Cet « idéalisme » va conduire nos héros, grâce à la formule du chimiste, à transformer la rivière en un filon d’or à la beauté et à la quantité de pierres insoupçonnées. La séquence tient de la magie. Les quatre protagonistes vont se lancer dans cette rivière débordante d’or dans une chorégraphie frénétique et magique et finalement mortifère. La musique jazzy d’Alexandre Desplat renforce la dimension magique et onirique du film, bien loin des canons des musiques de western. Un vrai-faux western monument !

Les Frères Sisters
Film de Jacques Audiard avec Joaquin Phoenix et John C. Reilly
USA-France-Roumanie-Espagne – 2018
En salles depuis le 10 septembre 2018

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« Under the Silver Lake » : Noyé dans Los Angeles !

15 août 2018

Under the silver lake _allociné
Photo : allociné

Faut-il parcourir un labyrinthe cauchemardesque dans Los Angeles pour retrouver sa petite amie soudainement disparue ? C’est ce que fait Sam (Andrew Garfield, épatant), dans Under the Silver Lake, le dernier film de David Robert Mitchell. Voici notre héros, un geek fauché et désœuvré en quête de célébrité à Hollywood, à la recherche de Sarah. Il traverse toute une série d’étapes, inquiétantes et désopilantes à la fois, au cours desquelles s’insinuent un certain nombre d’indices et de codes qu’il doit percer : le dessin d’un plan sur des boites de céréales, des disques qu’il doit lire à l’envers… Au cours de ses pérégrinations et de ses semblants d’enquêtes, c’est bien Los Angeles baignant dans la culture pop qu’il parcourt et qui se dévoile à travers tous ses lieux fantasmatiques. On y voit la tombe d’Alfred Hitchcock pour bien nous renvoyer à son film Vertigo dans lequel James Stewart poursuit avec angoisse la blonde Kim Novak. La mère de Sam ne jure que par Janet Gaynor, star du muet. Au hasard de ses aventures, mi-réelles, mi-imaginaires ou carrément rêvées, auxquelles on ne comprend pas grand-chose (la référence au Grand Sommeil de Howard Hawks avec Humphrey Bogart s’impose ici), Sam se retrouve nez-à-nez avec Marilyn Monroe dans son dernier film inachevé, Something’ Got to Give réalisé en 1962 par George Cukor. On croise des apprenties starlettes dont les rêves s’épuisent dans des publicités pour produits cosmétiques. Les bars, les parties où sévissent les industriels de Hollywood, entre drogue et prostitution, et les sectes new ages, n’ont plus de secrets pour Sam. Mais cela ne lui permet pas de mener à bien sa recherche pour autant. Voici également un dessinateur-scénariste pas mal dérangé qui hallucine autour de toutes sortes de théories du complot. Le rôle est d’ailleurs tenu par Patrick Fischler que l’on a déjà vu, angoissé, dans Mulholland Drive de David Lynch. Encore un clin d’œil de David Robert Mitchell. Le film se déverse par jets comme le Reservoir qui alimente en eau Los Angeles et qui est au cœur de l’intrigue (d’où le titre : Under the Silver Lake) et c’est par jets continus que ce film étrille le système hollywoodien et fracture définitivement le mythe pour ne laisser de Los Angeles qu’un décor de théâtre en carton-pâte. Alors, laissez-vous aller sans crainte dans ce thriller délirant.

Under the Silver Lake de David Robert Mitchell
Avec Andrew Garfield, Riley Keough, Patrick Fischler
USA 2018
En salles depuis le 6 août 2018

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« Bagdad Café » de Percy Adlon : Une Bavaroise en Californie

16 juillet 2018

Bagdad Café_Affiche

Ressorti en 2018 dans une version restaurée 4K, le film de Percy Adlon, Bagdad Café, réalisé en 1987, tient encore bien la route aujourd’hui. Jasmine, cette Bavaroise, avec loden et plume au chapeau, lâchée par son compagnon, se retrouve seule en plein milieu du désert de Mojave. Elle y découvre, un motel délabré et quasi abandonné, le Bagdad Café, et une Amérique profonde figée dans sa torpeur et son immobilisme. Tout y est : la fameuse Route 66; une station d’essence à la Edward Hopper; un motel poussiéreux; une patronne de café survoltée; un artiste peintre façon hippie aventurier logeant dans un van Clipper Airstream en aluminium, de retour en grâce aujourd’hui; un serveur amérindien toujours somnolent; un shérif caricatural, lui aussi amérindien; un pianiste qui égrène ses notes au milieu des clients, mais du Bach cette fois-ci et non pas du Jelly Roll Morton; des routiers de passage aux bras tatoués… Mais il y a surtout cette Jasmine, une étrangère que la tenancière Brenda regarde de travers et qui cherche à se faire adopter. Elle apporte avec elle sa joie de vivre, sa bonne humeur et son amour des autres. Elle va contribuer à la renaissance de l’établissement en le remettant à neuf et en organisant des revues et des tours de magie, aptes à faire venir la clientèle. Tout oppose ces deux femmes, leur origine sociale, leur mode de vie… et même leur façon de faire le café – Ah ce thermos jaune fabriqué à Rosenheim en Allemagne, sorte de fil rouge (ou jaune) du film ! – Mais peu à peu, elles finiront par s’amadouer, s’apprivoiser et s’aimer. Et c’est d’amour encore qu’il est question, lorsque notre aventurier aux bottes de cowboy, Budy Cox, avec délicatesse et pudeur, demande à Jasmine si elle veut bien l’épouser. Et la réponse de Jasmine, à elle seule résume tout le film : « je vais demander à Brenda ». Humour et amour; poésie et amitié; nostalgie et charme; mais aussi la couleur ocre-désert des images et Calling You, chantée par Jevetta Steele font un film jubilatoire, à voir ou revoir impérativement.

Pour la petite histoire, il faut savoir que le Bagdad Café existe réellement, au bord de la Route 66. Le café s’appelait alors le Sidewinder Café, rebaptisé en 1995. Il est fréquenté principalement par des touristes français depuis que le Guide du Routard en avait fait mention dans sa description de la Route 66. Mais en 2017, le café a reçu un visiteur de marque, Percy Adlon lui-même. En effet, lors de l’avant-première de la version restaurée présentée, le 9 juillet 2018 au cinéma parisien le Luminor, un court métrage réalisé à l’endroit même du tournage du film nous a été présenté par Percy Adlon. Il y a emmené ses petites filles visiter ce qu’il en restait. On y voit le bar recouvert de cartes de visites et de mots ou de prénoms français, la vieille caravane Airstream… et l’émotion sur les visages des adolescentes, lorsque leur grand-père leur explique certaines séquences qu’il avait filmées il y a 30 ans.

Bagdad Café (Out of Rosenheim) de Percy Adlon
USA – Allemagne 1987
Avec Marianne Sägebrecht, CCH Pounder, Jack Palance, George Aguilar
En DVD et en salles à Paris depuis le 11 juillet 2018

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« Mulholland Drive » de David Lynch

9 juillet 2018

5.2-Mullholandrive-1

Ce film nous plonge dans un Los Angeles nocturne, lugubre malgré le scintillement de ses lumières. Cinématographique aussi puisque l’intrigue – les intrigues devrait-on dire – retrace les expériences mystérieuses et hallucinantes de deux comédiennes, Diane et Rita, qui ne sont en fait que deux fantômes rêvés par deux femmes réelles : Betty et Camilla. On est là dans un Hollywood glamour – mais aussi burlesque – fait de bruissements de caméras, de prises de son et de tournages de comédies musicales; un Hollywood qui fait rêver et attire les prétendantes starlettes. Les signes distinctifs ne manquent pas pour signaler sa dimension mythique : le Hollywood Sign ou le portail de la Paramount par exemple.

Un Los Angeles aussi où les avenues et les boulevards (San Fernando, Sunset, Santa Monica…), malgré les rangées de palmiers en contre plongée, sont parcourus rapidement comme pour nous rappeler que la route est par essence accidentogène. Et la fameuse Mulholland Drive toujours filmée de nuit, comme pour évoquer la dimension angoissante et onirique qui se dégage de ce film.

Mais le film de David Lynch est l’histoire tragique de Diane, amoureuse de Camilla, qui elle préfère la quitter pour un autre amour : Adam, un cinéaste quelque peu bouffon. Éperdue de jalousie, Diane fait assassiner Camilla et se suicide. Cette fin brutale met un terme au rêve que les deux femmes avaient fait. Diane s’imaginait en starlette débutante au nom de Betty. L’autre, Camilla – au nom de Rita, en référence à Rita Hayworth – est une actrice amnésique, ne se souvenant plus de l’accident auquel elle a réchappé. On passe de chacune à son double de façon simultanée. Double identité au carré, rêve et réalité entremêlés, peur et insouciance, magie et raison, vie et mort ! Lynch nous mène dans ce dédale hallucinant avec le suspens, la violence et son art du jeu des illusions qu’il manie en maître, comme lorsque les deux femmes se rendent à un spectacle où un animateur explique que tout n’est qu’illusion et qu’une chanteuse s’effondre sur scène alors que la chanson préenregistrée se poursuit. Jardins denses, visages monstrueux, défigurés, vieillards lilliputiens ricanant, murs gris, longs couloirs lentement parcourus, portes fermées longuement filmées… tout y est pour nous étreindre de peur et d’inquiétude… et ne laisser aucune chance de salut aux personnages.

Un film psychanalytique où le spectateur est convié à se faire interprète des rêves ? À défaire l’écheveau de l’amnésie, de la culpabilité, du dédoublement de personnalité ? Sans aucun doute. Un divertissement critique sur les illusions, les artifices et les paillettes qui se cachent derrière la façade glamour de Hollywood ? Aussi. Mais un film d’une grande complexité, en fait : du cinéma !

Mulholland Drive de David Lynch
Avec Naomi Watts, Laura Harring et Justin Theroux

USA – 2001
Disponible en DVD et Blu-Ray

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« Hedy Lamarr : From Extase to Wifi ». Du glamour dans les torpilles

11 juin 2018

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Voici un film qui nous fait découvrir, non seulement la beauté et le glamour de « la plus belle femme du monde » mais aussi ses talents de scientifique puisqu’ Hedy Lamarr a découvert le saut de fréquence nécessaire à la bonne communication entre une torpille et le bâtiment naval lanceur. Cette invention, reconnue et récompensée bien tardivement, a été mise en pratique par l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam et se trouve être à la base des technologies de la communication comme le Wifi, le GPS, etc.

Cette jeune autrichienne, volontaire et pleine d’enthousiasme se retrouvera rapidement à Hollywood pour fuir son mari pronazi et mener une carrière de star éblouissante mais irrégulière et excentrique. D’une très grande liberté, aussi bien dans son travail que dans ses relations avec les hommes, elle discute de pied ferme ses cachets et mène ses relations amoureuses avec une grande légèreté. Féministe avant l’heure, elle se lance au lendemain de la guerre, dans la production de films indépendants. Mais elle joue alors dans la cour des hommes. Son activité de productrice sera plutôt un échec, non parce que ses films étaient de moindre qualité mais bien probablement parce qu’elle empiétait sur l’hégémonie masculine qui régnait à Hollywood.

Au-delà de la renaissance de cette actrice longtemps oubliée, le film met en lumière le terrifiant processus de dégradation de soi, par lequel beaucoup d’actrices de l’âge d’or du cinéma finissent par se laisser entraîner. Esclaves de leurs fans et de l’image que l’opinion publique, les médias et le système hollywoodien ont contribué à façonner, elles se retrouvent dans un état quasi schizophrénique. Elles vont alors se réfugier dans la drogue, l’alcool, les séances de chirurgie plastique à répétition, chacune essayant de défaire ce qu’avait fait la précédente, comme ce fut le cas précisément de Hedy Lamarr. D’autres n’en pouvant plus, choisiront le suicide comme l’ont fait Judy Garland ou Marilyn Monroe.

Un film beau et triste à la fois. Beau, parce que Hedy Lamarr aura été une actrice icône de beauté, de glamour et de liberté; parce qu’elle aura donné à la science une invention capitale. Mais triste parce que ses désillusions et sa mélancolie nous émeuvent et qu’elle n’aura pas obtenu la pleine reconnaissance que méritait sa générosité et son talent. À découvrir. C’est passionnant.

Hedy Lamarr : From Extase to Wifi
De Alexandra Dean – USA 2018
En salles depuis le 6 juin 2018

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« Manhattan Stories » : New York au ralenti

4 juin 2018

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Le film de Dustin Guy Defa est comme un jeu de cartes que l’on bat et rebat, avant d’étaler les cartes sur la table. Plusieurs mini-films apparaissent et disparaissent, parfois sans lien les uns avec les autres, parfois se recoupant au hasard du montage. Voici Benny, un collectionneur de vinyles, excité à l’idée de mettre enfin la main sur un enregistrement original de Charlie Parker. Son ami Ray, plonge dans une déprime abyssale après avoir voulu se venger de sa petite amie en postant des photos d’elle, nue. Voici Claire, apprentie journaliste qui essaye, sans grand enthousiasme, de prouver la culpabilité d’une femme qui aurait assassiné son mari. Claire, dont le rédacteur en chef est amoureux et dont l’idylle tournera court le laissant prostré, au bord du suicide. Et puis il y a ces deux copines, hyper-névrosées, qui passent leur temps à débattre autour de leurs désirs sexuels. Nous sommes là dans un New York bouillonnant et paisible à la fois, peuplé de trentenaires névrosés, qui, sans aucun doute, nous font penser aux héros de Woody Allen, de Jim Jarmusch ou de Philip Roth. Tous les personnages du film vivent des aventures qui nous paraissent tout à fait insignifiantes, mais qui pour eux sont vécues comme de profonds drames existentiels; et c’est précisément cette distance qui donne au film son caractère humoristique. Les raccourcis dans le traitement des plans et des dialogues de chaque séquence rendent les situations carrément hilarantes : le rédacteur en chef effondré sur son bureau s’apitoyant, comme un enfant, sur son sort de prétendant délaissé; son assistante complètement paumée ne rêvant que de retourner à son ancien job de salariée tranquille; Ray, dont la culpabilité le transforme en ectoplasme congelé; la passivité de l’horloger chez qui semble se tramer le dénouement du fameux meurtre … Pas de violence dans ce film, mais de l’émotion, de la légèreté, de l’énergie et de l’humour… et Manhattan en toile de fond.

Manhattan Stories
Titre original : Person to Person
Réalisé par Dustin Guy Defa
USA – 2017
En salles depuis le 16 mai 2018

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«TeamLab» ou l’interaction homme/lumière

27 mai 2018

TEAMLAB-AU-DELA-DES-LIMITES

TeamLab, du nom du collectif japonais, est une exposition hors du commun. Dans un immense espace de 2000 m² (la Grande Halle de La Villette), des artistes, des ingénieurs, des électroniciens, des programmateurs, des architectes, des mathématiciens… déploient un spectacle fascinant et poétique, faisant interagir les spectateurs avec des créations numériques, véritables œuvres d’art. On peut voir voler l’oiseau ou faire disparaitre un crocodile que l’on écrase du pied et que l’on a préalablement dessinés, faisant la joie des petits et des grands. Dans une autre salle, vous avez l’impression d’être submergé par une cascade. Ailleurs, dans une salle plus petite, vous devenez un passe-muraille. Dans un vaste aquarium multicolore, vous pouvez détourner le cours d’une rivière ou faire plier de votre main des massifs de fleurs ou de roseaux, le tout sur un fond musical d’écoulement ou de jaillissement d’eau. Le visiteur est ainsi en immersion, entre lumière, couleurs et sons. Il se laisse aller à la contemplation, à des rêveries infinies, modifiant à sa guise, selon son imagination, la réalité virtuelle dans laquelle il est plongé. Rien à voir avec la déstructuration numérique d’œuvres d’art, telles les toiles de Klimt ou de Hundertwasser que l’on peut voir à l’Atelier des Lumières, où l’art finalement disparait et où seule subsiste la performance techno-numérique. Avec TeamLab, c’est au contraire la performance des artistes et la participation du spectateur qui font l’œuvre d’art.

TeamLab – Au-delà des limites.
Jusqu’au 9 septembre 2018 à La Grande Halle de La Villette à Paris

L’Atelier des Lumières – Une immersion dans l’art et la musique : Gustav Klimt
389, rue Saint-Maur, 75011 Paris

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